mercredi 22 octobre 2008

"Journal d'une maîtresse d'école"

Paru dans Le Devoir cette semaine, ce cri du coeur qui m'a profondément bouleversée... mais qui m'a aussi conscientisée.


Yves Waddell définit sa tâche ainsi : "Je suis une maîtresse d'école mais pas tout à fait un enseignant, un professeur ou un pédagogue, comme pourraient s'en réclamer mes collègues du secondaire, du collégial ou de l'université. J'ai la même formation universitaire que mes collègues, j'ai même une maîtrise en enseignement, mais, contrairement à eux, je ne fais pas qu'enseigner.

Non. À titre de maîtresse d'école, je suis passée directement de ma cuisine à ma classe, en emportant avec moi mon petit fardeau de tâches domestiques. Je fais presque tout mon secrétariat, le ménage et le rangement de ma classe, je soigne, je garde, je surveille, j'encadre, j'élève des enfants et, dans le temps qu'il me reste, j'enseigne. Aucun enseignant du secondaire, du collégial ou de l'université n'accepterait d'accomplir pareilles tâches. Et il aurait bien raison...
"

Mais c'est son analyse des facteurs explicatifs de cette situation qui bouleverse. Je n'y avais jamais pensé ainsi, je suis plus que reconnaissante envers M. Waddell de nous rappeler que le statut réservé aux enseignantes du primaire est celui d'une extension du statut maternelle. Loin d'être reconnue comme professionnelles, elles subissent un statut qui les relègue aux rangs inférieurs dans la hiérarchisation des ordres d'enseignement : «J'ai enseigné près de vingt ans dans cet univers de femmes, et cela m'est toujours apparu comme une évidence: l'école primaire reste calquée sur l'univers des femmes à la maison, alors que tous les autres niveaux d'enseignement sont de véritables lieux de travail, avec à la clé un statut d'enseignants professionnels. Pourtant, de façon inexplicable, cette réalité, cette inégalité, n'est jamais évoquée par quiconque, comme si elle avait toujours échappé à l'analyse des acteurs du monde de l'éducation: les enseignantes du primaire traînent avec elles tous les petits vestiges de l'aliénation des femmes à la maison, et personne ne semble s'en apercevoir, personne ne s'en plaint et, surtout, personne ne le remet en question. »

La plus puissantes des analogies illustrent cet écart entre l'occupation d'un espace plutôt privé par les enseignantes qui se chargent des enfants et les «spécialistes» du secondaire, collégial et de l'université qui occupent l'espace public : aucun n'espace professionnel n,est réservé aux enseignantes du primaire. Contrairement à leurs collègues des autres ordres d'enseignement, elles ne bénéficient pas d'un bureau où elles pourraient se retirer pour réfléchir, planifier, etc. Confinées au seul espace de leur classe, elles sont comme enfermées dans leurs tâches souvent ménagères ...
«Un bureau, c'est un espace physique bien défini où un enseignant peut se retirer afin de s'outiller pédagogiquement, afin de planifier et d'organiser son enseignement. Un bureau, c'est au moins un espace virtuel, sinon physique, où je peux me recueillir et réfléchir à ma pédagogie. Pas une classe où, midi et soir, concierge, enfants, collègues entrent comme dans un moulin; pas un local où s'installent malgré vous le service de garde, la période des devoirs ou le service des loisirs de la municipalité.

Toutes choses qui ailleurs paraîtraient insupportables à tous les autres professionnels des autres ordres d'enseignement. Un bureau, cela nous aurait-il échappé, c'est aussi un espace déterminé dans le temps. Tous les professionnels des autres ordres d'enseignement ont des temps bien définis dans leur horaire pour planifier, corriger, rencontrer les étudiants ou leurs collègues. C'est reconnu. Et nécessaire. Mais, semble-t-il, pas au primaire.
»

Que dire des notions de formation continue ? De la condescendance ministérielle ? Des réformes «top-down» ?

Ce plaidoyer vibrant pour la reconnaissance de la profession enseignante des enseignantes du primaire, de leurs compétences, de leur sagesse, de leur contribution, de la nature complexe et combien essentielle de leur travail quotidien est élaboré dans un souci de reconnaître aussi que cette profession est si complètement ignorée, banalisée parce qu'elle est occupée par des femmes que le discours social relègue à la sphère privée plutôt que de l'accueillir, comme il se doit, dans la sphère publique.

bravo et merci, M. Waddell !

mardi 21 octobre 2008

15 choses à faire pour devenir un meilleur enseignant

Paru dans leInternational Journal of Critical Pedagogy, Vol 1 (2) (Summer 2008), 81-97, par Paul Carr.


«my list is intended to be an anti-list of sorts, one that encourages thought, introspection, reflection and critical dialogue and action but does not limit the progressive and transformative work required to become a better teacher, one who is more attuned and responsive to the needs of all students.»

Aujourd'hui, les 5 premiers items.

Ma traduction de chaque item en parenthèses.

1. Accept that No One Knows Everything, and That We Can Always Learn (Acceptez que personne ne sais tout et que l'on peut toujours apprendre).

En d’autres mots, nous dit Carr, il faut être ouverts à de nouvelles façons de réfléchir au sujet de vieux enjeux et ne pas en venir à croire que nous possédons tous les savoirs et toute l’expérience requis pour comprendre comment les élèves vivent leur parcours éducatif. Nous devons nous mettre au défi d’apprendre plus, de devenir plus engagés, de comprendre la dynamique entre la théorie et la pratique (praxis) et d’accepter que les gens vivent l’expériences de divers phénomènes de façons diverses.

2. Content Is Never Devoid of Context (Les contenus ne sont jamais sans contexte)
How can one not speak about war, poverty, and inequality when people Who suffer from these afflictions don't have a voice to speak? -Isabel Allende (b. 1942)

Les enseignants doivent comprendre qu’ils ne sont pas neutres, que d’insister sur cette fausse neutralité ne fait que renforcer la valeurs normatives qui privilégient la domination blanche, masculine, bourgeoise, chrétienne, eurocentrique et hétérosexuelle. En somme, les contenus sont toujours plus appropriés, pertinents et engageants lorsqu’ils sont contextualisés et qu’on tient compte, dans leur sélection, des besoins et réalités des élèves.

3. Work Locally But Make the Linkage With the International Milieu (Travaillez localement mais établissez les liens avec le monde au-delà de voss frontières)
A man of humanity is one who, in seeking to establish himself, finds a foothold for others and who, desiring attainment for himself, helps others to attain. -Confucius (551-479 BC)

Dans notre contexte de village global, les enjeux locaux sont également des enjeux internationaux et réaliser le changement au plan local ne doit pas être isolé de l’espace politique plus large. Les enseignants doivent faire l’effort d’établir des liens entre le curriculum formel et informel (Apple, 1996) et avec le contexte international, afin de permettre la compréhension de l’interdépendance, des implications de l’impact et de la réalité locale. Les enseignants doivent questionner le contexte de mondialisation, les relations de pouvoir qui s’y dessinent et le potentiel solidaire d’une autre mondialisation.

4. Media Literacy Is Not a Sound-Byte (difficile à traduire - La littératie médiatique ne peut être réduite à une phase-cliché)
Washing one's hands of the conflict between the powerful and the powerless means to side with the powerful, not to be neutral. -Paulo Freire (1921-1997)

Les enseignants doivent outiller les élèves afin que les médias ne servent pas qu'à la fabrication du consentement à la domination, l'exploitation et l'oppression par les classes dominantes. Les intentions, cadres de référence et relations de pouvoirs en jeu dans les médias doivent être analysés et mis au jour.

5. History Is Not Uni-Dimensional (l'histoire n'est pas unidimensionnelle - ou, comme je le dis souvent, il n'existe pas "une histoire", mais "des histoires")
He who passively accepts evil is as much involvedin it as he who helps perpetrate it. -Martin Luther King, Jr. (1929-1968)

Quelle histoire enseigne-t-on et dans quel but ? Qui choisit les contenus ? Quels événements sont considérés importants ? Par qui ? Pourquoi ? Quel message ces choix véhiculent-ils ? Les enseignants doivent se préoccuper des choix et des intentions cachés du curriculum formel et y opposer un curriculum informel critique, qui cherche à construire l'histoire à l'aide des diverses voix qui en sont les témoins.

Je reviens là-dessus demain.

De la guerre contre les travailleurs à une situation d'apprentissage









En Outaouais où j'habite, Wal Mart vient tout juste de fermer les portes d'un atelier de mécanique auto d'un de ses magasins gatinois. La raison ? La même qu'à Jonquière : les ouvriers avaient gagné le droit de se syndiquer. La réponse de Wal Mart ? la convention collective l'empêchait d'être rentable.


Un affront au droit à la syndicalisation garanti par la Charte canadienne des droits et libertés, dites-vous ? Oui ! Une violation du code du travail du Québec ? Aussi ! Les conséquences pour la compagnie fautive ? RIEN !

Vraiment ? Rien ? Le Québec veut à ce point garder ces emplois à la rémunération dérisoire ? Faire affaires avec une compagnie qui fait tout pour éviter que ces employés soient à temps plein afin de ne pas payer les avantages sociaux auxquels ils auraient droit ?

Quel autre ignominie serions-nous prêts à accepter ? Le travail des enfants ? Non, me direz-vous, il existe des lois pour nous protéger ! Ah oui ? Et les travailleurs de Wal Mart ne sont-ils pas protégés par les mêmes lois ? Voyez ce qui arrive !

Dans cette même veine, j'avais, il y a quelques années préparé une situation d'apprentissage où les élèves étaient membres d'un gouvernement de divers pays cherchant à attirer des entreprises sur leur territoire. Ils devaient décider de l'offre à faire à la compagnie afin de l'attirer en essayant de compromettre le moins possible les conditions de vie des citoyens.

mercredi 15 octobre 2008

Plus rien ne passe

Détrompez-vous, ce ne sont pas les élections qui m'ont mobilisée, mais mes étudiants.

Cette semaine, nous discutions d'évaluation. Je me suis trouvée à les inciter à ne rien laisser passer. "Vous êtes des chevaliers" leur ai-je dit "et il faut que vous vous armiez. Votre armure est celle de la réflexion critique, de votre engagement envers vos élèves et envers la société qui est possible. Dans votre armure et avec votre épée, vous vous placez devant vos élèves, prêts à abattre tout ce qui pourrait briser l'image qu'ils ont d'eux-mêmes comme apprenant, l'image qu'ils ont de l'apprentissage et de la beauté du monde. Vous frapperez contre la moyenne numérique au bulletin, contre l'évaluation normative, vous êtes les gardiens de leur sentiment de possibilité et de confiance en leurs capacités. Et pendant que vous luttez devant eux, derrière, ils sont à construire leur propre armure. Morceau par morceau, ils s'habillent de compétences et de réflexion critique, d'aspirations et de buts, de la compréhension d'une contribution à apporter. Et lorsqu'ils seront prêts, ils pourront à leur tour voir et comprendre la compétition, la normalisation et l'injustice pour ce qu'elles sont : les outils de ceux qui s'agrippent désespérement à leur pouvoir, sachant que la masse critique s'en vient les renverser."

Il est grand temps que je pratique ce que j'incite mes étudiants à faire. Je ne laisse plus rien passer, je revêtit mon armure.

Lendemain de veille

On peut être à la fois horrifié et soulagé ?

nul besoin de vous dire que je n'ai pas gagné mes élections ;-)

Je crois toutefois que la grande nouvelle de ces élections est l'apathie électorale. Nous n'avons pas franchi les 60 % de participation. Voilà qui m'horrifie. Je m'inquiète particulièrement du taux de participation chez les 18-22 ans.

Je comprends toutefois que compte tenu l'absence de délibérations engageantes dans la place publique (certains diraient de l'absence de place publique réelle) dans le cadre des derniers mois, les enjeux n'étaient pas clairs pour tous.

Pourtant...

Charles et moi discutions ce matin de l'engouement pour la droite dans les banlieues. À sa théorie de régulation sociale (je veux que mon voisin se plie à la norme, je veux un quartier "propre", je perçois que tout ce qui est hors-norme est une menace) j'ajoute celle de la militarisation de la société de Giroux. La peur nous fait poser des gestes si irrationnels que l'on peut parler d'un phénomène inconscient - inconscient des forces sociohistoriques qui manipulent la perception que l'on a de la société, qui véhiculent peur et retranchement individualiste - qui permet de renforcer la base de pouvoir des élites dominantes. Je crois même que cette base a été renforcée hier.

Mais comme je suis optimiste (naïve ?), je vois aussi les brèches. Je vois les ouvriers des territoires des secteurs primaires et industriels de l'Ontario et de la Colombie-Britannique résister aux mécanismes de leur exploitation. Pourquoi n'est-ce pas un enjeu au Québec ? La question nationale a-t-elle obnubilé la question des disparités ? Les croyons-nous encore liées, dans nos sensibilités de peuple longtemps traité comme citoyens de seconde classe ?

Beaucoup de réflexions à faire encore, je vais d'abord digérer le malaise laissé par cette étrange soirée.

vendredi 10 octobre 2008

Ma chanson thème

Ani Di Franco le dit beaucoup mieux que moi


joyful girl


i do it for the joy it brings
because i'm a joyful girl
because the world owes me nothing
and we owe each other the world
i do it because it's the least i can do
i do it because i learned it from you
and i do it just because i want to
because i want to

everything i do is judged
and they mostly get it wrong
but oh well
'cuz the bathroom mirror has not budged
and the woman who lives there can tell
the truth from the stuff that they say
and she looks me in the eye
and says would you prefer the easy way
no, well o.k. then
don't cry

i wonder if everything i do
i do instead
of something i want to do more
the question fills my head
i know there's no grand plan here
this is just the way it goes
when everything else seems unclear
i guess at least i know

i do it for the joy it brings
because i'm a joyful girl
because the world owes me nothing
and we owe each other the world
i do it because it's the least i can do
i do it because i learned it from you
and i do it just because i want to
because i want to
© 1996 ani difranco / righteous babe music

Pour Sarah

et Céline, Isabeau,Katleen, Martine, Claudia, Donald, Steven, Patrice, Paul, Cécile, Andréa, Geneviève, Dominique, Camille, Kelly

qui partent pour l'aventure en stage et qui cultivent en eux un feu sacré qui m'émeut et me remplit d'admiration à la fois.

« Qui es-tu ? dit le petit prince. Tu es bien joli...

- Je suis un renard, dit le renard.

- Viens jouer avec moi, lui proposa le petit prince. Je suis tellement triste...

- Je ne puis pas jouer avec toi, dit le renard. Je ne suis pas apprivoisé.

- Ah! pardon, fit le petit prince.

Mais, après réflexion, il ajouta:

- Qu'est-ce que signifie "apprivoiser" ?

- Tu n'es pas d'ici, dit le renard, que cherches-tu ?

- Je cherche les hommes, dit le petit prince. Qu'est-ce que signifie "apprivoiser" ?

- Les hommes, dit le renard, ils ont des fusils et ils chassent. C'est bien gênant ! Ils élèvent aussi des poules. C'est leur seul intérêt. Tu cherches des poules ?

- Non, dit le petit prince. Je cherche des amis. Qu'est-ce que signifie "apprivoiser" ?

- C'est une chose trop oubliée, dit le renard. Ça signifie "créer des liens..."

- Créer des liens ?

- Bien sûr, dit le renard. Tu n'es encore pour moi qu'un petit garçon tout semblable à cent mille petits garçons. Et je n'ai pas besoin de toi. Et tu n'as pas besoin de moi non plus. Je ne suis pour toi qu'un renard semblable à cent mille renards. Mais, si tu m'apprivoises, nous aurons besoin l'un de l'autre. Tu seras pour moi unique au monde. Je serai pour toi unique au monde...
»

Je vous souhaite des classes pleines de petits renards... parce que vous êtes mes petits princes.

Bon stage et merci de me rappeler à quoi je sers !

dimanche 5 octobre 2008

Où sont les autochtones ?

Situation-problème et présentation géniale d'une étudiante

sa problématique : «où sont les autochtones aujourd'hui ?»

On fait un remue-méninges et on s'interroge... où étaient-ils avant ? quel territoire occupaient-ils ? Ont-ils connu des migrations ? etc.

sa mise en situation: dans l'Atlas du Canada, qui présente des cartes géographiques et historiques interactives.

On leur montre d'abord la première carte : le territoire des diverses nations vers 1630

Où sont-ils maintenant ?

On fait d'abord émerger les représentations initiales des élèves (ok, des faux élèves âgés d'en moyenne 21 ans)... il semble y avoir consensus : dans les réserves.

L'étudiante présente la seconde carte : Agglomérations autochtones et inuits, au Québec, 1984

Les faux élèves ne voient rien (mais c'est projeté sur écran dans la classe !)
«Est-ce que tu peux "zoomer" svp ?»

Elle zoom.

Rien. «Tu peux le faire encore ?»

4 fois, elle zoom. Toujours avec un petit sourire en coin. C'était planifié.

Enfin un «ahhhhhhh» collectif.

Puis, graduellement, un constat d'une réalité vécue et de tout ce qui a été perdu.

«Shit ! ils n'ont plus rien !»

Je crois qu'il y a eu apprentissage. Maintenant on explore le pourquoi.