vendredi 27 avril 2012

Mise en garde


À tous les politiciens, vieille garde, phalanges de la grande main pourrie du bourreau de la jeunesse du Québec.

Je vous mets en garde.  Vous avez créé malgré vous les conditions d’un apprentissage d’une efficacité redoutable.  Réunies ensemble, ces conditions permettent la praxis, par laquelle les citoyens apprennent ensemble, dans l’action et par l’action.  Ces hommes et ces femmes «étudiants» deviennent des citoyens dans une situation de crise sociale inédite et ils apprennent à une vitesse inouïe.  Et ces apprentissages sont durables et les transforment de façon permanente. Ils ne seront pas étudiants longtemps, elles et ils seront travailleuses et travailleurs sociaux, enseignantes et enseignants, géographes, fonctionnaires, infirmières et infirmiers, comptables, avocates et avocats.  Et ils sont brillants, empathiques, critiques et solidaires.  Ils ont déterré les racines de l’injustice systémique et ils les laissent pour nous tous à découvert. Ils sont et resteront intransigeants envers la lâcheté, féroces devant la corruption, indignés contre les mensonges, la manipulation.  Ils sont et resteront puissants de valeurs démocratiques, de justice.  Ils demanderont partout éthique et transparence. Ils invoqueront la solidarité humaine pour s’unir contre toute tentative de bafouer droits et libertés fondamentales.  Ils seront armés aussi jusqu’aux dents de sagesse et de discipline révolutionnaires. Ils écraseront la médiocrité où qu’elle se trouve. Les salles de classe, les institutions publiques, la société tout entière sera investie de ces citoyens militants. Soyez avisés, votre règne prend fin.

Et ils auront des enfants.  Bercés aux souvenirs d’une solidarité humaine exceptionnelle, d’une détermination inébranlable face aux matraques, aux gaz lacrymogènes. À la lutte contre la propagande, au refus de tomber au piège du consommer plus pour réfléchir moins.

Et certains de ceux qui sont étudiants aujourd’hui seront, avec moi, professeurs. Ils aiguiseront l’esprit critique et les armes intellectuelles de leurs étudiants.  Ils leur feront découvrir Marx, Fanon, Freire, hooks, Luxembourg, Foucault, Bourdieu, Lukacs et tous les autres qui font qu’on ne peut plus ignorer l’injustice. Qu'on agit contre elle.

Vous avez sous-estimé quels puissants pédagogues nous sommes déjà et nous deviendrons encore plus. Pour ma part, je mettrai cette pédagogie et tous mes pouvoirs intellectuels en oeuvre pour ouvrir les yeux de mes étudiants, pour les outiller comme enseignants militants.
Et je hurle cette promesse : pas un étudiant ne sortira de ma classe docile, passif. je ne formerai désormais que des citoyens et des formateurs de citoyens INSOUMIS.

mardi 24 avril 2012

Je revendique les liens


Je revendique les liens pédagogiques qui m’unissent à tous les étudiants qui luttent ensemble aujourd’hui et depuis des semaines pour la justice sociale, pour la reconnaissance de leur droit de cité, contre la violence symbolique de l’État actualisée dans la brutalité policière.  Je revendique ces liens qui unissent ceux qui apprennent ensemble, qui se conscientisent ensemble.  Freire disait que la tâche de l’éducateur-élève «…consiste à transcender l’ingénuité qui se laisse tromper par les apparences; nous acquérons ainsi l’attitude critique qui perce l’obscurité du lieu commun apparent, et nous met en face du fait qui était dissimulé jusqu’alors.» (Freire, 1973, p. 193). Face à la trahison des injonctions, face aux matraques des policiers, l’indifférence de trop de nos concitoyens, les injures, insultes et menaces des ténors du capitalisme et les chantres de l’individualisme (qui ne font qu’un) incarnés tels qu’ils le sont dans ce gouvernement de mépris et de corruption systémique, je revendique ces liens pédagogiques pour proclamer que l’obscurité est percée et que rien ne saura la couvrir à nos yeux. 

Je revendique les liens de solidarité et d’intentions éducatives qui m’unissent à mes collègues professeurs et enseignants à travers le Québec, ceux qui luttent pour que la légitimité et l’urgence du mandat social qu’ils ont accepté de porter soient reconnues à leur pleine valeur. L’éducation leur est confiée afin que le citoyen, sa conscience, ses savoirs et son pouvoir d’action soient habilités et incarnés dans l’action dans le seul but d’assurer la vie bonne et la liberté de chacun et de tous, la justice… bref, la transformation de la société actuelle. Je reconnais l’imposture de l’institution universitaire telle qu’elle existe actuellement et dans sa fonction de reproduction sociale. Je reconnais toutefois la puissance de la culture et du savoir construits collectivement et habités par ceux qui les construisent. Je reconnais que la préséance de ces savoirs sur l’imposture ne peut s’établir que par un effort monumental. Je revendique les liens avec mes collègues pour amorcer ce travail. 

Je revendique les liens citoyens qui m’unissent à tous ces camarades au front depuis le début de leur combat militant contre l’injuste, le mal, le laid, le faux qui habitent les relations humaines asymétriques, cruelles et indécentes. Ces relations qui caractérisent l’asservissement, l’oppression, l’aliénation propres aux sociétés capitalistes et qu’il devient urgent de transformer par la praxis citoyenne critique.

Je revendique ces liens et je les invoque, maintenant, afin qu’ils tirent plus fort que ces ficelles de marionnettes que nous portons malgré nous, qu’ils nous lèvent tous ensemble et qu’ils nous soutiennent face aux obstacles dressés devant nous. Afin que la ministre qui «négocie» et ses patrons [qui ne siègent pas à l’Assemblée nationale, mais dans les entreprises privées, dans les banques] voient que nous resterons ensemble, unis.

Lettre de ma collègue Francine Sinclair à ses petits enfants


À mes cinq petits-enfants,
Comment vous expliquer ce qui se passe actuellement au Québec? Des jeunes de tous horizons se battent pour vous, pour l’équité, la justice sociale, la démocratie. Il y a dix semaines, j’ai choisi d’être à leur côté parce que leur cause est juste et vraie, mais aussi pour vous. Vos parents ont choisi des façons de vivre que ne feront jamais d’eux des « riches », ni de vous d’ailleurs. Vous, moitié africain/moitié québécois, moitié italien/moitié québécois, je voudrais vous dire que vous serez entre bonnes mains pendant toute votre vie. Parce que depuis des semaines, j’ai côtoyé les jeunes adultes qui seront vos enseignantes et enseignants, vos travailleuses sociales et travailleurs sociaux, vos psychoéducatrices et psychoéducateurs, vos futures politiciennes et politiciens et vos futurs journalistes. Ils sont généreux, justes et bienveillants. Ils seront solidaires à vos causes et ouverts à votre diversité. Ce sont ces étudiantes et étudiants qui étaient avec nous hier à la sortie du Palais de justice et qui nous consolaient, nous les profs, des sentiments de trahison et d’impuissance qui nous habitaient. Ils avaient encore toute cette générosité et cette sollicitude pour s’inquiéter de nous. Après autant de semaines dans la rue, ils sont encore forts, fières et dignes.
Vous êtes encore trop petits pour leur être reconnaissants, alors je le serai en votre nom. À vous toutes et tous, je vous dis mille mercis. Je sais qu’à partir de maintenant, je ne serai plus jamais la même personne. Je voudrais que tous ces adultes qui vous jugent puissent vous connaitre, acceptent simplement de vous connaitre, comme vous accepteriez de le faire vous, sans jugement.
Je resterai solidaire à vos côtés, parce que je sais qu’avec vous, je suis en sécurité.
Francine Sinclair, professeure
UQO

samedi 21 avril 2012

Solidarité

Le soutien des collègues solidaires de Montréal, qui réagissent à ce qui s'est produit à l'Université de Montréal, à l'Université du Québec en Outaouais (on ajoute à Limoilou). Quatre d'entre eux étaient avec nous et ont été arrêtés avec nous.  Quelles magnifiques personnes solidaires.

vendredi 20 avril 2012

Bill

« Est mien seulement ce en quoi je reconnais mon être, et je ne peux le reconnaître que là où il est engagé. » (Simon de Beauvoir) Bill Clennett, qui milite depuis des décennies pour la justice sociale, était le dernier détenu sorti de prison hier soir. Il a voulu attendre que tous les jeunes et les solidaires soient sortis. Il est d’une humanité qui est si grande et si belle, qu’elle fait mal lorsqu'elle est devant la violence inouïe que nous avons vécue hier. Sa solidarité est si profonde qu’elle submerge et étouffe les coups portés à la dignité humaine, les tentatives de division. Je ne sais pas ce que je peux te dire sinon que je me sens privilégiée, choyée et combien heureuse de te connaître et de savoir que tu es le modèle avec lequel mes enfants grandissent.

VIOLENCE

Litanie de mots qui se bousculent l’un après l’autre dans ma tête, s’enchevêtrent les uns dans les autres, se heurtent et se blessent.
Horreur Horreur de voir des étudiants en sang, en douleur, poivrés, matraqués à la tête, au visage, au bras. Horreur, cette expression de rage sur les policiers qui les matraquent et les assènent de coups de poing. Horreur et honte d’apprendre qu’une étudiante qui urinait dans un contenant alors que la police anti-émeute lui interdit d’utiliser la toilette au Pavillon Brault s’est fait frappée par ces policiers lorsque le contenu de sa vessie a débordé du contenant. Horreur aussi d’apprendre que les étudiants et solidaires ont passé des heures dans les autobus avant d’être placés en cellule, sans eau, sans nourriture et sans toilettes. Amour, gratitude et honte. Amour amour amour pour tous ces gens qui ont vu l’injuste et sont venus si pacifiquement appuyer solidairement étudiants et collègues. Contrairement à ce qu’ont dit certains, vous êtes ni vandales, ni brutes, ni violents. Vous êtes mes frères, mes sœurs, mes camarades, mes concitoyens et je vous aime profondément sans vous connaître tous personnellement. Gratitude merci merci merci Merci à ma merveilleuse collègue Catherine Lanaris qui a placé son corps devant ses étudiants pour les protéger de l’anti-émeute, qui essuyait le sang du visage d’un étudiant, qui a tenté de raisonner les policiers qui matraquaient les jeunes. Tu es un symbole de ce que signifient sollicitude et solidarité. À ma collègue Francine Sinclair qui n’a pas lâché la lutte en 10 semaines, déterminée, puissante en paroles et en actes et qui était au front aussi. Merci à tous ces collègues au front. Merci aux collègues du département de travail social qui sont allés accueillir les étudiants à la sortie de prison. Merci à Suzanne Bilodeau, qui arrêtée avec les étudiants témoignera toute sa vie de cette attaque du Gouvernement Charest sur la jeunesse. Honte. Honte de m’être effondrée en cours de manif, quelques minutes avant que l'anti-émeute entre dans le Pavillon Brault et de ne pas avoir pu faire comme elles. Je suis désolée, je suis peinée, catastrophée de ne pas avoir été là à l'intérieur du pavillon pour tenir la main de nos étudiants, comme la veille dans le fourgon policier. Honte de cette société brutale dans laquelle on vit et que je lègue actuellement à mes quatre magnifiques enfants. Mal. J’ai mal partout. Physiquement, psychologiquement, moralement. J’ai mal et je tremble sans arrêt depuis 4 jours. Déterminée, transformée, puissante, debout, en colère. Surtout. Je me lève et je continue.

jeudi 19 avril 2012

Blessée, pas brisée


Je suis sociologue de l’éducation.

Mes recherches portent sur l’agentivité citoyenne des élèves, des étudiants et des enseignants. Elles incluent des recherches sur la délibération démocratique, sur l’humanisation de l’école et de la société. Je travaille sur l’autonomie intellectuelle et la capacitation citoyenne.

Je suis dangereuse, parce que je pense de façon autonome, parce que j’agis contre l’injustice sociale dans ma salle de classe, en présentant des recherches que les étudiants explorent dans leurs cercles de lecture, des penseurs, en discussion.

Mardi, un policier m’a tordu le bras.

Hier, j’ai été encerclée par l’anti-émeute, avec les étudiants. Ils ont avancé sur nous, matraques bien en vue. Ils nous ont arrêtés.

Mais je comprends combien par mes paroles je suis plus dangereuse. Et j’ai l’intention de le rester.

La députée libérale de Hull, Maryse Gaudreault, a dit que les professeurs d’université étaient des employés de l’État. C’est faux. Elle a dit que des professeurs (je me sens visée) de l’UQO sont à l’origine des manifestations étudiantes en Outaouais. Elle se trompe. Les étudiants sont autonomes, brillants, éthiques, fiers, profondément humains. Ils n’ont pas besoin qu’on leur dise quoi faire. Ils le savent mieux que tant de leurs concitoyens. Nous sommes là parce que ce sont NOS étudiants. Qui pense vraiment que les professeurs laisseront seuls au front leurs propres étudiants, face aux matraques, au gaz lacrymogène ?

J’exige qu’elle se rétracte.

Le policier m’a blessée. Mais personne, personne ne me brisera. Personne ne brisera nos étudiants.

samedi 14 avril 2012

Injonction

Je suis la lutte et par la lutte je deviens qui je suis

Je suis rarement aussi éteinte en paroles que je ne l’aie été dans les dernières 24 heures.

Mes étudiants viennent de se faire servir une injonction, l’injonction la plus punitive qui ait été livrée jusqu’à présent au Québec. Après la tyrannie de la branche exécutive de notre soi-disant démocratie, voilà arrivée celle de la branche judiciaire. J’invoque désormais ce droit fondamental qu’est la résistance à l’oppression.

Je m’appuie sur et je transmets aux étudiants grévistes, solidaires et éthiques les paroles puissantes du Manifeste des 60 qui mènera à la Commune de Paris. Il revendique en outre le droit à l’éducation et à la véritable représentativité démocratique.
Vous allez vous y reconnaître, remarquables combattants. Les lois exceptionnelles, ce sont les injonctions.

[…] Le suffrage universel nous a rendus majeurs politiquement, mais il nous reste encore à nous émanciper socialement. La liberté que le Tiers Etat sut conquérir avec tant de vigueur et de persévérance doit s’étendre en France, pays démocratique, à tous les citoyens. Droit politique égal implique nécessairement un égal droit social. On a répété à satiété : il n’y a plus de classes ; depuis 1789, tous les Français sont égaux devant la loi.

Mais nous qui n’avons d’autre propriété que nos bras, nous qui subissons tous les jours les conditions légitimes ou arbitraires du capital ; nous qui vivons sous des lois exceptionnelles, telles que la loi sur les coalitions et l’article 1781, qui portent atteinte à nos intérêts en même temps qu’à notre dignité, il nous est bien difficile de croire à cette affirmation. […]

nous affirmons que l’égalité écrite dans la loi n’est pas dans les mœurs, et qu’elle est encore à réaliser dans les faits. Ceux qui, dépourvus d’instruction et de capital ne peuvent résister par la liberté et la solidarité à des exigences égoïstes et oppressives, ceux-là subissent fatalement la domination du capital : leurs intérêts restent subordonnés à d’autres intérêts.

Nous le savons, les intérêts ne se règlementent point ; ils échappent à la loi ; ils ne peuvent se concilier que par des conventions particulières, mobiles et changeantes comme ces intérêts eux-mêmes. Sans la liberté donnée à tous cette conciliation est impossible. Nous marcherons à la conquête de nos droits, pacifiquement légalement, mais avec énergie et persistance.

A ceux qui croient voir s’organiser la résistance, la grève, aussitôt que nous revendiquons l’a liberté, nous disons : vous ne connaissez pas les ouvriers ; ils poursuivent un but bien autrement grand, bien autrement fécond que celui d’épuiser leurs forces dans des luttes journalières où, des deux côtés, les adversaires ne trouveraient en définitive que la ruine pour les uns et la misère pour les autres.
[…] La loi doit être assez large pour permettre à chacun, isolément ou collectivement, le développement de ses facultés, l’emploi de ses forces, de son épargne et de son intelligence, sans qu’on puisse y apporter d’autre limite que la liberté d’autrui, et non son intérêt.

[…] il est grand temps d’en finir avec ces calomnies propagées par nos ennemis et adoptées par les ignorants. La liberté du travail, le crédit, la solidarité, voilà nos rêves. Le jour où ils se réaliseront, pour la gloire et la prospérité d’un pays qui nous est cher, il n’y aura plus ni bourgeois ni prolétaires, ni patrons ni ouvriers. Tous les citoyens seront égaux en droits.

Que voulons-nous plus spécialement qu’elle, ou du moins plus énergiquement, parce que nous y sommes plus intéressés ? L’instruction primaire, gratuite et obligatoire, et la liberté du travail.

L’instruction développe et fortifie le sentiment de la dignité de l’homme, c’est-à-dire la conscience de ses droits et de ses devoirs. Celui qui est éclairé fait appel à la raison et non à la force pour réaliser ses désirs.»