jeudi 4 décembre 2008

Je pleure Hélène Pedneault


Adieu ma soeur. Je pense à toi et je porte le ruban blanc, mais je sais qu'il crève ma peau comme la balle d'un fusil et que j'ai droit à ma colère.

«Dans la généalogie de l'indignation, la colère est la branche volcanique. C'est elle qui monte en premier aux barricades comme une tête brûlée qu'elle est, aveuglément, sur un coup de sang, une montée de fièvre, sans penser à protéger sa peau, et qui allume les incendies que l'indignation reprend à son compte. L'indignation organise la colère, oriente son feu, le documente, jette les cris inutiles aux vidanges, et donne du souffle seulement aux colères qui sont facteurs de changement. La colère peut être stérilisante; l'indignation, féconde. La colère est une sprinteuse; l'indignation est une marathonienne. La colère a la durée de vie d'une allumette; l'indignation, celle d'une flamme olympique. [...] Et ne soyez pas de mauvaise foi. Quand je parle de la colère des femmes, je ne parle pas seulement de la colère parfaitement justifiée qu'elles éprouvent d'être encore traitées en subalternes et non en partenaires. Je ne parle pas seulement de la colère dirigée, avec raison, contre le monde des hommes ou certains hommes en particulier. Je parle aussi de la colère des femmes dirigée contre tout ce qui nous diminue collectivement, contre tout ce qui glorifie la mort au détriment de la vie, contre tout ce qui pollue, contre tout ce qui menace l'intégrité et la dignité des êtres humains, contre tout ce qui ment, ne tient pas compte, divise, asservit, terrorise, mutile.

Il faut maintenant revendiquer pour nous cette scie qu'on ne peut plus endurer dans la bouche d'un homme: "T'es belle quand t'es en colère". Mais il faut ajouter: "T'es puissante quand t'es en colère. T'es utile." Pratiquer la colère, c'est décider d'être à la même hauteur que ses rêves et ses convictions pour les regarder dans les yeux. C'est être à la hauteur de soi-même, et non plus étriquée, prise comme une minuscule poupée russe à l'intérieur d'un rêve plus grand.» Hélène Pedneault, Apologie de la colère des femmes, 1999

3 commentaires:

Clément Laberge a dit…

Merci Stéphanie pour avoir choisi cet exceptionnel extrait de l'oeuvre d'Hélène Pedneault.

On aurait eu bien besoin d'elle par les temps qui courent.

Heureusement tu es là, avec quelques autres.

Je le dis sans flagornerie.

Stéphanie Demers a dit…

Je suis bien d'accord que son départ est très prématuré ... et ce qui m'inquiète encore plus, c'est que tous ces gains sont menacés. J'ai des étudiants (universitaires) qui ne savent pas ce qu'est le massacre de la polytechnique et d'autres qui croient que ce n'est pas pertinent à commémorer.

Ça me donne le goût de changer de sujet pour mon doctorat !

Marianne Dostaler a dit…

Ne changez surtout pas de sujet de doctorat!!

Je suis une étudiante universitaire qui pleure Mme Pedneault et toutes les jeunes filles de la Polytechnique...Mais je pleure surtout de l'ignorance des gens, de leur volontaire ensevelissement.

Nous avons plus que tout besoin d'être éduqués; le monde est devenu trop grand, ce pourquoi je penses que plus personne ne sait quoi faire dedans... Apprenez-nous à nous indigner pour les bonnes raisons. L'implication et l'engagement: c'est parce que c'est difficile que les gens essaient d'en faire fi, essaient de devenir ignorants, même à l'université.