mardi 16 juin 2009

Progrès et déclin

Progrès et déclin : deux concepts qui s’inscrivent dans le temps long et auxquels les historiens vont souvent référence pour expliquer les conséquences des ruptures historiques sur les sociétés. Concepts polysémiques si jamais il en fut. Progrès ou déclin en rapport avec quoi ? Le développement technologique ? Les conditions de vie ? La justice sociale ? Si je choisis comme mesure ce dernier élément de comparaison, tout me porte à croire au déclin occidental. Et je me fie sur les jeunes pour l’évaluer.

À l’Instar d’Henry Giroux (et de Green Day, aussi loufoque cela puisse-t-il paraître), je m’interroge sur le rôle de la culture des jeunes comme canarie dans la mine… Historiquement, l’apathie des jeunes, la détérioration ou la stagnation de leur culture (lire ici réduction ou absence de créativité, d’innovation, de contestation) a été un signe avant-coureur de déclin de la justice sociale (Allemagne, Etats-Unis, Italie, etc.), alors que la revendication, la participation sociale et politique, même avec la rage comme moteur, l’effervescence artistique sont signes de son renouvellement (Chili, France, etc.). Dès que la jeunesse baisse les bras ou se complaît dans son confort relatif, on peut y voir, il me semble, le début d’une détérioration sociale… L’hyper-vigilance des 18-25 ans serait donc gage d’une société qui progresse…

Certains diront qu’il n’y a là rien de nouveau. Certes, les sociologues ont déjà fait de tels constats. Ce qui est bouleversant n’est pas nécessairement la corrélation jeunesse-santé de la justice sociale, mais le poids immense qui revient dans cette corrélation à l’école et aux enseignants.

18-25 ans, c’est tout frais sorti de l’école. C’est l’identité qui se consolide, c’est le réinvestissement des réflexions et remises en question de l’adolescence si celles-ci ont été provoquées. C’est là que je m’inquiète. Car si ni l’école ni les enseignants ne provoquent l’effervescence requise et ce qu’il faut pour la soutenir (outils intellectuels, sociaux, politiques), on ne peut s’attendre à ce que les jeunes s’inscrivent par la revendication dans un processus d’autocorrection démocratique. Ils se contenteront de consommer (des biens), de jalouser le dernier i-pod du voisin, de voir les écarts sociaux et les injustices comme autant de caractéristiques immuables de l’humanité , ou une conception de ce qu’Audigier (1995) appelle le temps éternel « un temps où il n’y a ni déroulement, ni changement possible ; les grands aspects du monde sont éternels, les hommes s’y glissent et s’y soumettent. C’est aussi le temps de la nature qui impose ses contraintes […] il y a et il y aura toujours des riches et des pauvres, des puissants et des dominés …».

Pour éviter le déclin ? Mobiliser la jeunesse. Dépasser la «simulation» citoyenne préparatoire et favoriser l’émergence de l’action citoyenne, tant à l’école qu’à l’extérieur de l’école. Des cours de militantisme ? Peut-être, mais au moins l’éveil de la lucidité critique, du pouvoir de l’action collective, de l’insatisfaction face au statut quo, de la colère face à l’injustice – et les armes pour la combattre.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour Mme Demers,
c'est avec délectation que je viens de lire votre article, que Dany Larouche m'avait suggéré.

Oui, je crois que c'est inquiétant. Mais... je pense aussi que l'on ne donne pas la possibilité aux jeunes de s'exprimer, et encore moins de croire qu'ils peuvent changer quelque chose.

Pour faire (très) bref, je me demande parfois l'impact qu'a le discours paradoxal que l'on tient, nous, en tant que société. Nous leur disons une chose, mais ne l'appliquons pas. Ou encore, nous leur montrer tous les problèmes de la planète, sans pour autant leur dire qu'il y a peut-être des chances de s'en sortir.(J'ai écrit un petit article à ce sujet, intitulé: "discours paradoxal").

Je pense que devant ce sentiment d'incapacité, la seule chose qui leur reste, c'est leur bonheur immédiat. Qui sait quand va sauter la planète? On croirait que j'exagère, et pourtant... j'ai côtoyé des jeunes qui ont peur de 2012 (je ne sais pas si vous en avez entendu parlé?). Ils croient que, de toute façon, tout est perdu. Alors, à quoi bon tenter de faire quelque chose?

Et puis... qui les pousse à être critique? Qui les pousse à réfléchir, à penser à des solutions, à des manifestations, à des mobilisations?
En tant que future enseignante d'ECR, je pensais que ce serait peut-être mon rôle... Pourtant, je me fais dire que ce n'est pas "dans le programme"!

Je suis heureuse de constater qu'il existe des profs comme vous!

Bonne journée!
Josiane

Stéphanie Demers a dit…

Bonjour Josiane (c'est Stéphanie, en passant... pas de Madame, c'est hiérarchisant)

De grâce, n'abandonne pas l'idée que c'est ton travail en ECR. Je te conseille fortement la lecture des articles de David Lefrançois sur l'apprentissage de la démocratie délibérative, dont les éléments se trouvent dans le programme de ECR. Tu porteras, avec les collègues de cette discipline, une part importante de la conscientisation des élèves à la justice sociale, au militantisme, au respect de la reciprocité et de la liberté d'autrui dans des projets collectifs et solidaires.

Tu as raison qu'on ne leur donne pas assez d'occasion d'agir. C'est le propre de l'école que de reproduire la structure qui endort le citoyen pour ne laisser place qu'à l'élite (une institution publique créée par une infrastructure ne petu aller à l'encontre de cette dernière ou fournir les armes pour son renversement). Il faut que la démocratie scolaire soit plus qu'un vulgaire exercice préparatoire et il faut qu'elle sorte de l'école... il faut inciter les jeunes à agir à l'extérieur de l'école (comme premiers pas, les groupes jeunes Amnistie internationale offrent un trousse militante en ligne, par exemple)et les former à la délibération démocratique et à comprendre les origines des injustices afin d'agir sur elles.

Pour ce faire, ça prend des gens comme toi et Dany.

Anonyme a dit…

Merci beaucoup, Stéphanie...
Parfois, je me questionne à savoir si c'est moi qui est à côté de plaque!
Je trouve ton discours très rafraîchissant!!!
Ne serait-ce que de dire de te tutoyer, car le vouvoiement est trop hiérarchisant! J'ai souvent tenter d'expliquer que le respect n'était pas dans l'usage du "tu" ou du "vous", mais dans la façon dont on s'adresse les uns aux autres... et que si le respect ne passait que par ça, à quoi fallait-il nous attendre dans les interactions dans la même classe?
(Je souris!)
Je te remercie aussi pour la références: dès que j'aurai un peu de temps, je me ferai un plaisir d'aller le lire.

Dominique a dit…

Bonjour Stéphanie, tu sais, je me promène et lis sur ton blogue, et je me demande parfois moi aussi en regardant les jeunes quelle sorte de société ont aura plus tard ?!?

Tu sais que je me suis déjà fait traitée de macabre parce que j'avais amené les enfants voir un camps de réfugiés installé au pavillon Canada Monde alors que le plus jeune avait peut-être 5 ans !

C'est trop de troubles, ont surprotège nos enfants, ce serait trop compliqué de leur expliquer cette réalité et leur expliquer notre responsabilité face à cette réalité...

Notre petit monde et dans la ouate s.v.p. c'est assez...

Même les sensibiliser à la pauvreté ici, à la porte voisine, ont ferme les yeux !

Tu sais c'est en partie cette injustice sociale qui a fait capoter Julien... L'injustice à l'école, l'abus de pouvoir... Ça n'a pas aidé.

Il parle de partir aussitôt qu'il aura 18 ans...

Aller où il pourra faire une différence, car pour lui, la vie ici est ridicule... travaille, boulot, dodo...

Certains jeunes ne se soucient de rien tant qu'ils ont leur Ipod et leur char, mais lorsqu'ils vivront leur première épreuve, ils ne seront pas outillés...

Ouais... Pas solide hein...

Et même ceux qui le semble peuvent basculer d'un moment à l'autre, j'en ai vu !