jeudi 29 mai 2014

Réflexion sur les finalités épistémiques de l'éducation

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Demandons-nous à nos élèves et à nos étudiantEs de simplement croire les savoirs propositionnels que nous avons développés ? Soumettons-nous, comme enseignantEs et professeurEs, nos croyances à l'épreuve de la justification et de l'adéquation avec la vérité, aussi transitoire puisse-t-elle être, avant de les présenter aux élèves, aux étudiantEs ?


Leur apprenons-nous à distinguer savoirs de croyances ? À en faire l'euristique ? À évaluer la justification et l'adéquation à la vérité des savoirs propositionnels ? À évaluer l'expertise de ceux qui leur proposent ?



Traduction libre de
Robertson, E. (2009). The Epistemic aims of education. Dans H. Siegel (dir.). The Oxford Handbook of Philosophy of Education (pp. 12-34). New York : Oxford University Press.

«the educational ideal of rationality… is aligned with the complementary ideal of autonomy, since a rational person will also be an autonomous one, capable of judging for oneself the justifiedness of canadidate beliefs and the legitimacy of canadidate values» Siegel, «Cultivating Reason»

Si l’éducation vise le savoir et que le savoir requiert vérité et justifications, ces dernières doivent donc aussi faire partie des finalités épistémiques de l’éducation. Elles ne peuvent toutefois pas être les seules finalités épistémiques. Personne ne suppose que n’importe quelle croyance de vérité justifiée devrait être incluse dans un curriculum éducatif. Par ailleurs, l’on considère communément les étudiants non seulement comme consommateurs d’information experte,  mais également comme apprentis aux communautés cognitives qui produisent le savoir (en fonction de leurs buts et de leur stade de développement). Toutefois, même les apprentis  aux communautés cognitives peuvent être asservis à la construction du savoir par l’expert. Les éducateurs devraient-ils ainsi formuler des finalités plus ambitieuses, orientées vers un certain niveau d’autonomie cognitive, rendant possible pour l’étudiante de «juger pour elle-même, la justifiabilité des croyances soumises à l’examen» comme le dit Siegel (2003, p. 307) ?

La réponse à ces questions crée une image abstraite d’un «savant/sachant» idéal dont les caractéristiques incarnent un ensemble de finalités épistémiques normatives. Cette caractérisation d’un savant idéal est considérée comme trop abstraite par certain, puisqu’elle suppose qu’il n’existe aucune différences épistémologiquement pertinentes entre ceux qui savent. Elle ne prend pas en compte les différences dans la situation et les dimensions de savants potentiels qui sont pertinentes aux savoirs qu’ils construisent. La culture, le genre, la race et la subordination ou l’oppression de groupes, par exemple, sont incarnés dans les caractéristiques de la personne qui construit le savoir, qui ne peuvent être négligées dans la formulation d’une théorie du savoir. Abstraire les caractéristiques du savoir et de ceux qui savent nie ou obscurcit le rapport entre le savoir et le pouvoir, une dimension dont une théorie utile, moralement et politiquement juste du savoir doit tenir compte. Ainsi, comprendre les conditions sociale et politique de la production et de la dissémination du savoir est une finalité épistémique cruciale de l’éducation.

 Il importe aussi de questionner comment les finalités éducatives épistémiques devraient reconnaître la dépendance de chaque individu sur le savoir des autres. D’une part,  il est plausible que les éducateurs enseignent aux étudiants comment penser par eux-mêmes. D’autre part, nous vivons dans un monde où la dépendance sur le témoignage et le jugement expert des autres est omniprésente. Comme le soutient Elgin (1996, p. 116), «La compréhension et le savoir sont des accomplissements collectifs.» Les contenus du curriculum enseignés dans les écoles sont les résultats de l’activité cognitive d’une communauté de chercheurs, la communauté des historiens, par exemple. Le savoir d’un apprenant s’alimente des ressources de corpus de savoirs publics, créés par ces communautés. Il existe, comme l’avance Goldman (2002), des voies sociales vers le savoir, qui incluent non seulement les producteurs de savoirs, mais aussi ceux qui le disséminent, comme les médias et les systèmes d’éducation.

Robertson conclut que «les éducateurs ne doivent pas abandonner le but d’éduquer à penser pour soi, mais comme tel, penser pour soi requiert la prise en compte des conditions sociales du savoir. Robertson appuie ainsi Coady (1994, p. 248) dans l’idée que «le penseur autonome est celui qui exerce une intelligence contrôlante sur les intrants qu’il reçoit des sources normales d’informations, que leurs bases soient individuelles ou communales». Comprendre les conditions sociales de la production du savoir, incluant le rapport entre savoir et pouvoir, fait partie d’être un penseur indépendant en ce sens. Par ailleurs, comme la création et la dissémination du pouvoir sont des entreprises sociales, les individus doivent aussi comprendre leur rôle comme citoyens, comme celui de producteur de savoir, dans le soutien aux voies effectives et socialement justes du savoir. C’est ici que les considérations des finalités épistémiques de l’éducation convergent avec l’éducation à la citoyenneté.»

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