mardi 26 août 2008

Dumont blâme l'école pour les tensions à Montréal-Nord

Les émeutes de Montréal-Nord ce mois-ci m'ont réellement bouleversée. Premièrement, parce que c'est ma ville natale et qui j'y ai passé une part importante de mon enfance. Dans mon quartier, j'y ai toujours vu une grande cohésion sociale, une interdépendance saine de toutes sortes de cultures (particulièrement italienne et haïtienne). En face de chez mes parents habitent des Péruviens et des Haïtiens, à côté d'eux, des Italiens et à quelques maisons, des Portugais.

Dans les parcs de l'arrondissement, aujourd'hui comme dans mon temps, les jeunes s'attroupent, comme ils disent à la télé. Ils jasent, ils planifient leur prochaine soirée, ils jouent aux dés, etc.

Est-ce que tous les jeunes de Montréal-Nord sont des saintes-nitouches ? J'en doute. est-ce que les groupes de jeunes dans les parcs sont des gangs de rue ? Permettez-moi d'en douter aussi. On a pathologisé la jeunesse. J'aimerais bien savoir ce qui constitue un gang de rue, pour tous ceux qui se sont prononcés à ce sujet. La jeunesse fait peur, particulièrement lorsqu'elle est d'autant plus étrangère parce que composée de communautés culturelles différentes. On ajoute la peur d'une jeunesse déjà classée comme délinquante et aliénée à celle de l'Autre. Et l'Autre, ici, vit dans des conditions déplorables, souvent. Mais inutile de chercher du côté des inégalités sociales et des relations de pouvoir. Inutile de tenter une approche démocratique, sociale, émancipatrice.

La preuve ? Mario Dumont [sic] propose un projet à l'américaine, car selon lui, les Américains ont réglé les tensions sociales, raciales et des générations en enrôlant les jeunes dans les équipes sportives qui, analogues aux rangs des militaires, insufflent à la jeunesse américaine le sentiment d'appartenance, les valeurs civiques, la DISCIPLINE.

Donc... la jeunesse est une maladie, il faut la guérir par la force.

Bien voilà. Ignare que je suis, je n'avais pas vu que les équipes sportives et la discipline à l'école avaient réglé les tensions sociales et le crime chez les jeunes aux États-Unis. Je croyais avoir lu une pléthore de statistiques quant aux crimes contre la personne commis justement par un nombre disproportionné de membres de ces équipes sportives - rites d'initiation d'une violence inouïe, viols, etc. Je croyais avoir lu la semaine dernière qu'un élève en avait tué un autre au Tennessee. et que dire de ceci :
«During the 2005–06 school year, 86 percent of public schools reported that at least one violent crime, theft, or other crime occurred at their school. In 2005, 8 percent of students in grades 9–12 reported being threatened or injured with a weapon in the previous 12 months. In the same year, 28 percent of students ages 12–18 reported having been bullied at school during the previous 6 months. In 2005, among students ages 12–18, there were about 1.5 million victims of nonfatal crimes at school, including 868,100 thefts and 628,200 violent crimes» (U.S. Department of Education, National Center for Education Statistics, Indicators of School Crime and Safety, 2007).

C'est facile de proposer des pseudo-solutions, c'est autre chose de proposer des solutions intelligentes et fondées sur des preuves de leur efficacité. M. Dumont ne s'enfarge par dans la rigueur ou même l'intelligence, mais propose comme ça, sans y réfléchir, des actions qui pourraient être désastreuses à moyen et à long terme. On sait tous que la répression («discipline» comme l'appelle Dumont» ) ne modifie pas les comportements des jeunes. Que dire de cette engouement soudain pour le sport ?

«Les études contestent l’impact positif du sport sur l’agressivité et la violence. Alors qu’apparaissent ses premières limites, faut-il repenser la politique du sport en France? Le sport réduit-il (vraiment) la violence ?


Plus de sport, plus de délinquance chez les jeunes, par Sébastian Roché, 2005 : Anonymement, 4.000 jeunes de 13 à 19 ans, interrogés en 1999 et en 2003, étaient invités à quantifier le nombre et la nature des délits qu’ils avaient commis, tout en donnant des renseignements précis sur leur pratique sportive. Résultat : les garçons qui pratiquaient un sport reconnaissaient à 29,2 % avoir commis un délit grave, tandis que ceux qui ne pratiquaient pas de sport étaient deux fois moins nombreux (14,9 %) à se reconnaître délinquants. L’étude mettait également en évidence que plus la pratique était intensive, plus le taux de délinquance augmentait, et que les jeunes de plus de 15 ans issus de milieux populaires étaient aussi les plus sensibles à la corrélation sport violence.

À l’occasion de l’étude, les jeunes étaient également invités à déclarer où avaient eu lieu leurs dernières bagarres. Là encore, le résultat allait dans le même sens : les terrains de sports arrivaient en tête (24,3 %), devant la sortie de l’école (17,4%) et les discothèques (13%). Dans aucun des groupes étudiés, la pratique d’un sport n’était associée à la réduction de la délinquance. La socialisation de l’agressivité, (d’après «Sport et Agressivité», éditions Desiris), par Luc Collard, 2004 : Dans le cadre de la réforme du temps scolaire, le ministère de l’Education nationale voulait savoir si faire du sport tous les jours diminuait l’agressivité des élèves. Luc Collard, un chercheur amiénois a alors comparé les comportements de deux groupes de 72 élèves, l’un dit «sportif» (qui faisait du sport tous les jours à l’école), l’autre normal (deux heures hebdomadaires), en les soumettant à un jeu. Les enfants avaient deux possibilités : ou bien une action non agressive (passe amicale ou libération d’un des prisonniers), ou bien un shoot agressif sur un de leurs camarades, afin de l’éliminer. Comme il n’y avait pas d’équipe, l’enjeu était réduit au minimum. Au début de l’année, les résultats des deux classes étaient semblables. A la fin, la classe «sportive» avait vu la part des «shoots» augmenter sensiblement – des deux-tiers aux trois-quarts – tandis que la classe normale avait au contraire vu le nombre de shoots agressifs diminuer. Autre expérience menée : faire jouer des rugbymen, handballeurs et basketteurs à chacun des trois sports. L’étude montrait que ceux qui pratiquaient le sport le plus violent des trois (le rugby) reproduisaient leur forme d’agressivité (les plaquages) lorsqu’ils jouaient au handball et au basket. Ce qui remet en cause l’idée selon laquelle le sport apprendrait à respecter les règles et à ne pas reproduire en dehors du terrain les gestes qu’on y a appris. Jeunes, sport et conduite à risque, par Marie Choquet, Inserm, 1998 :

Le sport a beaucoup d’atouts, note la chercheuse de l’Inserm (les pratiquants sont en meilleure santé, fument moins et boivent moins d’alcool), mais les conduites violentes ne déclinent pas avec la pratique sportive.»


(Le sport réduit-il vraiment la violence ?)

Présentation de la recherche par Sébastien Roché, sociologue français, directeur de recherches au CNRS. Une chose apparaît nettement : si le sport est parfois pris par certains comme un limiteur de la délinquance chez les adolescents issus des milieux populaires, les résultats présentés ici sur la base de l’étude de 1999 ou de 2003 vont clairement à l’encontre de cette idée. De manière plus détaillée, les résultats indiquent que parmi les enfants ayant des activités de loisirs en face à face et/ou des implications associatives liées au sport :
• la pratique du sport (exclusivement ou conjointement avec d’autres activités) n’est jamais un facteur associé à moins de délinquance grave ;
• la pratique du sport est plusieurs fois associée à plus de délinquance grave, et notamment pour les garçons ;
• l’intensité de la pratique du sport (mesurée en nombre d’heures par semaine) n’est jamais associée à une moindre délinquance mais permet, au contraire, de prédire un accroissement des taux d’auteurs de délits graves pour plusieurs sous-populations : le lien entre intensité du sport et délinquance est vérifié pour les garçons, les enfants des ouvriers et les jeunes de 17 ans et plus, il l’est dans une des enquêtes mais pas l’autre pour les cadres et pour les 13-14 ans et les
15-16 ans ;
• l’encadrement de la pratique du sport est un facteur d’une moindre délinquance que la pratique non encadrée du sport pour les plus jeunes (pour les 13-14 ans) et les enfants des cadres, mais pas pour les plus âgés (17 ans et plus) ou les enfants des ouvriers ;
• les manifestations sportives forment le premier lieu de bagarre identifié par les jeunes de 13- 19 ans qui se sont eux-mêmes battus durant la période de référence. […]


Sur la base des enquêtes, il est difficile d’établir les raisons de la corrélation positive entre pratique du sport et délinquance, lorsqu’elle se vérifie, et de trancher entre ces hypothèses. Plusieurs facteurs pourraient faire du sport un facteur favorisant la délinquance ou ne permettant pas de la limiter, et permettre ainsi d’expliquer les résultats obtenus. La pratique du sport n’est pas, en elle-même, nécessairement bénéfique pour freiner la délinquance. En effet, le sport peut être l’occasion : d’apprendre à aller au contact physique pour réaliser ses objectifs ; de favoriser un esprit compétitif et d’apprendre à contourner les règles pour gagner ; de voir valoriser des comportements « viriles » et parfois brutaux (ce que font certains parents sur la touche ou même parfois l’entraîneur) ; de développer des capacités physiques utiles sur le terrain ou aussi en dehors pour la délinquance de rue (courir) ; de valoriser des conduites impulsives (prendre sa chance) ; de permettre des apprentissages d’usage de la force (sports de combat) ou d’utilisation de coups pour avoir ce que l’on désire ; de générer des occasions de bagarre.

«Plus de sport, plus de délinquance chez les jeunes»
Sebastian Roché Directeur de recherche au CNRS – PACTE-Institut d’études politiques de Grenoble, responsable du pôle « sécurité et société ». Recherches et Prévisions n° 82 - décembre 2005

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