lundi 10 mars 2008

Sur l'approche par compétence

Magnifique article et Jonnaert et al. (2004) qui nous rappelle que ce qui a précédé l'approche par compétence dans le système scolaire québécois était un asservissement aux impératifs du monde de l'entreprise...
«Ce choix de se référer à une logique de compétences pour le développement des programmes d’études n’est pas gratuit. Il répond à une pression politique évidente. Mais cette situation n’est pas caractéristique des choix qui sont posés aujourd’hui pour les programmes d’études. De tout temps, l’école a cherché à répondre aux attentes sociales de son époque. Il n’en était pas autrement de la pédagogie par objectifs. L’approche taylorienne de l’organisation du travail en entreprise consiste à rendre séquentielles les tâches des travailleurs. Jusqu’au début de la dernière décennie, c’est dans cette perspective que les programmes scolaires ont découpé leurs contenus en de multiples micro-objectifs, permettant ainsi à l’école de préparer les élèves à une forme morcelée du travail, dont le modèle exacerbé était sans nul doute le travail à la chaîne. Le travail était alors divisé en une multitude de tâches parcellisées que chacun exécutait de façon isolée, ignorant ce que réalisaient les autres travailleurs et la signification globale de l’ensemble de ces tâches.

Le Boterf (2001) établit un parallélisme entre cette vision du travail en entreprise et le courant pédagogique dominant de l’époque : la pédagogie par objectifs. Cette dernière offrait à l’école la possibilité de développer des approches cohérentes avec les attentes sociales du moment. À cette époque, Minder (1977) ne définissait-il pas l’éducation comme une « entreprise de modification du comportement » ? Ce point de vue faisait autorité dans les établissements de formation des maîtres et, par voie de conséquence, dans les écoles. Les enseignantes et les enseignants programmaient leurs activités selon une logique, une technique et une terminologie largement influencées par une pédagogie par objectifs. Par ce choix, le système éducatif dans son ensemble s’inscrivait résolument dans une perspective comportementaliste.

L’école, par l’organisation des apprentissages séquentiels, ne pouvait pas nier qu’elle se modelait sur le taylorisme, cadre organisationnel dominant du travail en entreprise. L’école montrait donc, au minimum, son allégeance au comportementalisme, dont la logique était largement admise par le monde de l’entreprise, dans une perspective de rentabilité. Taylorisme et comportementalisme ont inspiré le puissant courant de la pédagogie par objectifs qui domine depuis cinq décennies le monde de l’éducation, particulièrement en Amérique du Nord et au Québec. Ces choix étaient déjà faits sous les contraintes des contextes économiques et sociaux de l’époque.»


Contribution critique au développement des programmes d’études : compétences, constructivisme et interdisciplinarité
Revue des sciences de l'éducation Vol. 30, no 3, 2004

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Certes les rapports entre pédagogie par objectif et l'organisation tayloriste de l'entreprise existent. Mais deux remarques:
- l'approche par compétence peut aussi être reliée au monde de l'entreprise (cf par Jean-Pierre Le Goff, La barbarie douce) dans des dérives tout aussi problématiques que les dérives de la pédagogie par objectif.
- les propos sont quelque peu réducteurs relativement à l'approche par objectif. Les risques de la multiplication de micro-objectifs sont connus, y compris chez les partisans de cette approche (cf D. HAMELINE, « Les objectifs pédagogiques en formation initiale et en
formation continue », Éd. ESF - Collection Pédagogie, Paris ). Ils sont d'autant plus grands si l'on se limite à proposer des activités correspondant aux niveaux 1, 2 et 3 de la taxonomie de Bloom. Au-delà, les tâches peuvent furieusement correspondre à des activités permettant d'évaluer des compétences (analyser, synthétiser, évaluer)!

Toute démarche pédagogique peut déboucher sur des dérives. Mais ce sont avant tout des outils à disposition du professionnel, ils ne sont pas intrinsèquement bons ou mauvais : c'est l'usage qu'on en fait qui génère des dérives.

Stéphanie Demers a dit…

Entièrement d'accord avec toi, Lyonel. D'ailleurs, l'article de Jonnaert précise :

«Aujourd’hui, cependant, la complexité des situations professionnelles nécessite que les formations se dégagent d’une orientation taylorienne des activités et donc aussi de l’approche stricte d’une pédagogie par objectifs, comme de sa philosophie traduite dans les prescrits de la pédagogie de la maîtrise (Bloom, 1979). Toutefois, cela ne signifie nullement que la notion même d’objectif soit rejetée. C’est plutôt son usage qui est revisité. Depuis longtemps déjà, nous avons substitué à la notion d’objectif celle d’hypothèse d’objectif (Jonnaert, 1988). Dans le même esprit, Martinand (1986) parle plutôt d’objectifs-obstacles[4]. Cette notion d’objectif était questionnée[5] dans l’usage qui en était fait, et ce bien avant l’apparition massive du concept de compétence, utilisé comme organisateur essentiel des programmes d’études. Perrenoud (2002b) accepte et utilise, certes en l’amendant de façon radicale, cette notion d’objectif. Il conserve cependant la notion de compétence comme organisateur des programmes d’études. À condition de la replacer dans un certain cadre, mais aussi d’en modifier les fonctions et les usages, la notion d’objectif est toujours utile. Par ailleurs, le comportementalisme n’a pas le monopole du concept d’objectif, pas plus que de celui de compétence. L’un et l’autre peuvent être conjugués sous l’emprise d’autres paradigmes sans qu’il n’y ait nécessairement contradiction, voire contre-indication. Pourquoi donc vouloir bannir toute référence à la pédagogie par objectifs, sous prétexte que les programmes d’études s’inscrivent dans de nouvelles perspectives épistémologiques ? L’adoption d’une approche par compétences ne peut être confondue avec un procès des objectifs en éducation. Il s’agirait plutôt, selon nous, d’analyser comment utiliser les apports incontestés d’une pédagogie par objectifs, lorsqu’ils sont inscrits dans les perspectives actuelles des nouveaux programmes.»

Mais tu ne m'en voudras pas trop de vouloir rappeler à tous que TOUS les paradigmes et les approches sont facilement récupérables par la droite et le néolibéralisme lorsque les pédagogues sont ni vigilants, ni critiques face aux savoirs-pouvoirs inscrits dans les programmes de formation et le énoncés ministériels.

Anonyme a dit…

@Stéphanie: aucun problème à rappeler ces éléments en les mettant en perspective.

Un autre aspect mérite d'être étudié. C'est notamment Larry Cuban qui l'avait mis en évidence relativement aux nouvelles technologies à l'école. Lorsque des nouveautés pédagogiques (ou technologiques) sont promues au sein de l'école, les promoteurs de celles-ci affèrent à deux groupes aux intérêts pourtant divergents:
- des réformateurs pédagogiques, généralement inscrits dans la mouvance "Freinet" ou "Dewey";
- des représentants des milieux économiques.

Les résultats de cette «alliance» n'ont jusqu'à présent guère été convaincants concernant les nouvelles technologies, y compris en Amérique du Nord où le rapport à la technique est différent et plus «positif» qu'en Europe.
Cela pose la question de la capacité de l'Ecole en tant qu'institution à se réformer. Qui d'ailleurs, y a vraiment intérêt?