samedi 16 février 2008

Aliénation socioscolaire prise un

L’aliénation des jeunes est depuis longtemps un sujet de débat, d’inquiétudes et de recherche dans les sociétés occidentales (Frymer, 2006). Toutefois, depuis les mouvements contestataires généralisés des années 1960, l’étude de la jeunesse aliénée s’est fragmentée : l’aliénation urbaine, rurale, culturelle, différenciée selon les sexes, etc. Dans la foulée du postmodernisme et de son souci de donner voix à tous, la polyphonie a laissé place à la cacophonie et à l’éclatement des efforts d’émancipation. (McLaren, 2006). Encore faut-il chercher bien longtemps dans les bases de données pour trouver des recherches récentes se penchant sur le thème d’aliénation des jeunes. À l’instar de l’analyse structuraliste, la conception de la jeunesse comme condition d’oppression tend à disparaître.

Pourtant, au Québec, les indicateurs de la distance entre les jeunes et les institutions publiques révèlent bien l’état de la situation. Par exemple, selon Élections Canada (2005), parmi les jeunes âgés de 18 à 21 ans et demi qui étaient admissibles au vote à une élection fédérale pour la première fois en 2004, le taux de participation estimé s'établissait à 39 %. Pourtant, le droit de vote est l’expression ultime de citoyenneté. Par ailleurs, en 2004-2005, près de 30% des élèves quittaient l’école secondaire sans diplôme . La participation sociale des jeunes – leur implication dans les projets de divers domaines sociaux – est également faible « Dans l’ensemble, peu de jeunes participent à des activités citoyennes, par le biais de la création d’un projet ou d’une implication associative. En effet, au-delà des deux tiers des jeunes ne participent pas ou ne manifestent qu’une faible participation » (Deschenaux et Laflamme, 2004 : 44). En fait, selon ces chercheurs, seuls environ 8 % des hommes de 20 à 34 ans et 4 % des femmes du même groupe d’âge sont impliqués dans des organismes communautaires. Si l’aliénation sociale est le processus par lequel l’individu est rendu comme étranger à sa société, ces indicateurs sont gages de celle que vivent actuellement les jeunes. Pour certains chercheurs, d’autres indicateurs confirment l’aliénation au point de vue individuel, par laquelle l’individu est rendu étranger à lui-même et à son potentiel humain : le taux de suicide, de consommation de psychotropes, de violence, de détresse psychologique, etc. présentent une scission existentielle entre les jeunes occidentaux et leur potentiel humain (Frymer, 2006). Sans aucun pouvoir politique ou social, au sein de l’école et de la société, les élèves du système scolaire sont opprimés et objectifiés.

Mandatée par la société de veiller à la socialisation et au bien-être de ces jeunes, d’outiller leur citoyenneté et de la rendre concrète, l’école a-t-elle failli à sa tâche ? Si c’est le cas, pourquoi et comment combler l’écart entre ce qui est et ce qui devrait être ?

Les aliénés du système d’éducation ne sont pas qu’élèves, ils sont également enseignants. Une proportion importante des enseignants du système scolaire québécois rejettent toujours les orientations du Renouveau pédagogique. Dans certaines commissions scolaires, 86 % des enseignants exigent l’arrêt de cette réforme (Brouillette, 2006). S’ajoutent à cette tension évidente le taux de décrochage des enseignants (environ 15 à 20 % des enseignants cumulant 5 années ou moins d’expérience) (Allard, 2006), la proportion élevée d’enseignants qui ne sont pas bien dans leur travail (dans une commission scolaire, 41 % d’enseignants avaient un bien-être subjectif inférieur à la moyenne générale) (Perron et al., 2003).

En somme, une proportion élevée d’enseignants n’adhèrent pas au programme de formation de l’institution au sein de laquelle ils évoluent, plusieurs s’y sentent mal ou s’y épuisent, certains abandonnent tout simplement la profession. Si l’on trace un parallèle entre les indicateurs de l’aliénation sociale des jeunes et cette situation chez les enseignants, ne serait-il pas possible de conclure qu’il existe un certain degré d’aliénation professionnelle chez les enseignants, dans la mesure où le professionnel est rendu étranger à sa profession et à son milieu de travail ?

Nul ne niera que les élèves et les enseignants sont les acteurs principaux de l’école, ceux qui y agissent, ceux qui l’occupent, ceux qui y négocient les relations. Toutefois, si l’un et l’autre n’y sont pas investis car ils en sont aliénés, l’école ne peut remplir son mandat.

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