dimanche 10 février 2008

Un début... en réponse à Mathieu Bock-Côté

Le débat sur la réforme m’apparaît comme un débat ontologique, où s’opposent deux conceptions du monde. Une conception positiviste, où la vérité absolue existe et est incontestable et une conception interprétative, où l’on reconnaît que les perceptions et les cadres de référence des êtres humains influencent l’interprétation des phénomènes et la construction de leurs savoirs. Soit les enseignants transmettent la vérité absolue, comme l’exige le retour à une école centrée sur LES connaissances que les élèves accepteront passivement, soit elle fournit aux élèves les compétences méthodologiques et intellectuelles pour se construire une interprétation fondée et critique des phénomènes qui les entourent. Or, ce choix est éminemment politique.

Une des premières connaissances que l’on m’a transmise, à l’école, c’est que Christophe avait découvert l’Amérique en 1492. C’était un fait, je l’ai assimilé et sans l’ombre d’un doute, j’y ai cru.

Ce que j’ai compris plus tard, toutefois, c’est que les connaissances sont des constructions humaines, issues de l’interprétation de celui ou celle qui les construit. La vérité absolue, c’est toujours la vérité de quelqu’un qui interprète, selon son cadre de référence, un phénomène qu’il perçoit. Cette construction est donc le produit d’un contexte social, historique, économique, culturel, etc. Si Christophe Colomb a longtemps été un héros de l’Occident, c’est qu’il en a propagé la culture. La vérité absolue de son héroïsme nous venait d’une interprétation eurocentrique, chrétienne, qui faisait l’éloge de la conquête des Amériques. Cette vision véhiculait l’idée que sans les grands explorateurs qui répandaient partout la civilisation occidentale, l’Amérique aurait été perdue. Elle entretient l’hégémonie des occidentaux et qui plus est, elle repose sur le sens commun – c’est-à-dire des interprétations non fondées, qui ne peuvent être justifiées par l’appel aux sources, qui se ferment aux autres interprétations et qui donnent l’impression d’un faux consensus. Ainsi, se centrer sur les connaissances engendre une vision du monde selon laquelle une seule interprétation est véridique et devient hégémonique, sans que ses origines ne puissent être remises en question. Cette vision est dangereuse partout, mais transmise à des enfants dont l’esprit critique est étouffé par la logique de devoir reproduire fidèlement les dites connaissances dans un examen, elle est particulièrement endoctrinante et annihile toute possibilité de mettre fin à la reproduction sociale.

Comme les connaissances sont issues de l’interprétation, l’approche par compétences et le socioconstructivisme proposés par la réforme de l’école québécoise ouvrent justement la porte au développement d’outils intellectuels et méthodologiques pour que les apprenants puissent construire une interprétation fondée, justifiable, ancrée dans l’observation, l’analyse et la critique des phénomènes naturels et humains. Procéder ainsi est reconnaître que la vision du monde se construit, qu’elle se construit en interactions sociales et de façon encore plus importante, c’est ouvrir la porte à la pluralité des voix, puisqu’aucune interprétation ne sera imposée en vérité absolue.

Par ailleurs, le discours selon lequel il existe « les » connaissances sous-entend que ces dernières font l’objet d’un consensus, qu’elles sont représentatives de la vision du monde de chacun. C’est fermer la porte à l’altérité, à la pluralité et particulièrement à la possibilité d’enrichir notre compréhension du monde des interprétations des autres, donc d’autocorriger les interprétations de sens commun, univoque, réductionnistes et limitatives. Dans un souci de démocratisation et d’autonomisation (empowerment) n’est-il pas contradictoire de chercher à faire reproduire des savoirs que l’on sait subjectifs et orientés plutôt que de chercher à développer les outils intellectuels de la démocratie délibérative, critique, et ouverte à sa correction ?

Une école axée sur les connaissances, de surcroît, implique le choix et le tri des connaissances. Ce processus est éminemment politique. Qui fait le tri ? Qui choisit ? Quelles connaissances sont plus importantes que d’autres ? Pire encore, quelle interprétation aura préséance ? Ces savoirs sont-ils le domaine d’un groupe social en particulier ? Comme dans une orientation par connaissances, ce tri est inévitable (on ne peut pas choisir toutes les connaissances), il faudra savoir qu’il comporte des relations de pouvoir. Comme le disait si bien Foucault, le savoir est un pouvoir. Trier les connaissances implique donc que les savoirs d’un groupe social seront privilégiés, seront ceux que l’on cherchera à transmettre, auxquels tous devront aspirer, que l’on fera mémoriser par les enfants afin qu’ils puissent les reproduire fidèlement. Quel discours peut être ainsi assimilé ? À l’heure actuelle, seul le discours hégémonique a ce pouvoir, ce qui nous lance dans un processus de reproduction social, de statu quo. Ceux qui ont le pouvoir – cette infime minorité - le conserve, ceux qui ne peuvent y accéder restent à l’écart. C’est l’immobilisme. Pire, c’est le retour aux Frères de l’instruction publique, c’est l’éducation bancaire, c’est nier plus de cent ans de recherches dans le domaine de la psychologie, de la cognition, de la sociologie, de la didactique, de la pédagogie.

Ainsi, malgré ses défauts - que je reconnais parce que mes compétences critiques ont été développées – le renouveau pédagogique offre une occasion sans précédent de développer les outils intellectuels des élèves en faveur d’une vision du monde et d’une société ouverte, pluraliste, critique et outillée pour corriger les écarts sociaux et remettre en question le discours hégémonique du néolibéralisme. S’engager dans la transmission de connaissances, c’est véhiculer une vérité absolue, ethnocentrique, positiviste, fermée à la remise en question. C’est justement arrêter d’être émerveillé par la créativité humaine, comme le suggère M. Bock-Côté, et s’y fermer. Pas d’innovations, les vérités existent déjà.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Permettez-moi de vous souhaiter plein succès dans la publication de votre blog. J'espère avoir l'occasion de vous lire souvent.
Cordialement.
http://lyonelkaufmann.ch

Stéphanie Demers a dit…

Merci à vous, Lyonel. J'ai eu l'occasion de vous lire à plusieurs reprises et j'apprécie grandement votre contribution au débat sur l'éducation. Je suis bien contente de me lancer à mon tour dans cette coconstruction virtuelle d'une autre façon de penser notre société.

à bientôt !

Sylvain a dit…

À mon avis, la coconstruction est bel et bien réelle, même si elle a lieu via le web :-)

Stéphanie Demers a dit…

Vrai ! D'ailleurs, je me demande si la discussion n'y est pas parfois plus franche... bien que rien ne remplace le face à face, certaines conventions sociales nous empêchent parfois de nous lancer à fond. Mais bon, j'aime bien à cet égard les principes de communication de Kant !