19 janvier 2013
Je tiens à saluer la création du
ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la
Technologie par le gouvernement Marois. Il s’agit d’un geste d’une grande
importance pour reconnaître l’apport des études supérieures à la formation citoyenne
et à l’élaboration de projets collectifs.
À cet égard, il importe de
réitérer les fonctions critique, émancipatrice et prospective de l’éducation supérieure. Elles sont absentes du cahier du participant
préparé par l’Institut du Nouveau Monde. Le développement de l’esprit critique,
c’est bien, mais former à la critique et à l’action critique, c’est mieux.
Une société qui aspire à être
juste, bonne (au sens philosophique) et autodéterminée ne peut faire l’économie
de la critique. La critique est porteuse d’éthique, puisqu’elle remet en
question les conditions et les intentions de l’action humaine et sociale. Elle
soulève les enjeux des intérêts au service desquels les citoyens sont souvent
contraints d’agir, la plupart du temps à leur insu. Elle agite les impératifs de la justice, de
la rigueur, du bien commun et de la raison devant les injonctions des intérêts
privés qui s’y opposent. Elle
historicise les enjeux sociaux afin d’en exposer les racines. Elle est l’esprit
critique en action, elle est l’antidote de la corruption, entre autres. Parmi
ses corollaires se trouve la recherche fondamentale, qui nous a semblé négligée
dans le cahier du participant et qui ne peut survivre au modèle marchand de
l’université.
Cette fonction critique a été
grandement mise à mal dans les dernières années, en outre parce qu’elle dérange
la marche de l’entreprise néolibérale vers l’asservissement des institutions
publiques à l’intérêt privé et à la logique marchande. La fonction critique a surtout été violemment
attaquée comme déviance dans le cadre de la lutte étudiante et sociale de
2012. La non-conformité, la remise en
question et la déconstruction du discours dominant sur l’université
entrepreneuriale et son approche client a valu à un nombre important
d’étudiants, de professeurs et de citoyens des étiquettes liées à la
déviance : radicaux, extrémistes, hystériques, violents, dangereux, etc.
Les partisans du pouvoir, dont certains au sein même de l’université, ont voulu
corriger cette déviance, la réprimer, parfois violemment. Nous attendons toujours
réparation.
La critique est pourtant le
fondement des fonctions émancipatrices et prospectives de l’éducation supérieure
et de la recherche. Elle permet les constats francs et éclairés, les analyses
rigoureuses et complexes, qui doivent précéder et accompagner toute tentative
de construction de savoir. Elle habilite
les acteurs sociaux à la pensée et à l’action libre et autonome, puisqu’elle
appelle l’usage public de la raison, tout en incitant à la prudence morale. Or,
cet usage public de la raison doit être revalorisée et les collèges et
universités doivent reconnaître que les étudiants et professeurs sont des
intellectuels publics.
L’éducation supérieure porte
comme mission l’émancipation des esprits et de l’action humaine de l’intérêt
privé, que l’on définit comme tout intérêt qui ne peut servir qu’à l’avancement
de la condition d’un groupe particulier. Il est l’intérêt du colonisateur, du
libéralisme économique sauvage, de la logique marchande. Kant notait que
l’esprit humain asservi n’atteindra jamais sa «majorité» au sens de sa
souveraineté, sans reconnaître son asservissement et les forces et intérêts qui
le sous-tendent par la critique. Il doit agir avec courage et résolution pour
s’en libérer.
Or, ce n’est pas dans une
université assujettie au modèle marchand, où il est conçu comme client que le
citoyen québécois arrivera à s’émanciper des forces paternalistes qui le
gardent dans un état de mineur, de colonisé, de servitude à des intérêts
particuliers qui sont par définition opposés à son projet d’émancipation. Une
université qui attelle son destin à celle de l’entreprise privée ne peut rien
pour libérer les esprits. La définition de la qualité de la formation, le mode
de financement de l’éducation supérieure et de la recherche doivent
impérativement et nécessairement être indépendants de ces intérêts
particuliers.
Il importe ainsi de boucler la
boucle avec la fonction prospective de l’Éducation supérieure. Appuyée sur la
critique, des citoyens libres, autonomes et émancipés des intérêts
particuliers, pourront
discerner les avenirs possibles et d’identifier les conflits et contradictions
de l’ordre social existant qui pourraient faire avancer la société vers l’un ou
l’autre de ces avenirs. En ce sens, elle
peut servir de guide pour les choix et l’action politique émancipatrice.
La valeur d’un diplôme
universitaire ne saurait ainsi se mesurer par sa valeur «marchande».
L’évaluation de la qualité de la
formation ne peut donc reposer sur le modèle de rentabilité ou se refléter dans
la seule «prospérité économique» d’un groupe restreint de citoyens québécois.
Elle ne peut que se mesurer dans l’expression et la participation critique de
tous les citoyens, dans les efforts qu’ils déploient envers la justice et le
bien commun, dans leur déclaration en gestes et en paroles de leur autonomie et
de leur liberté, dans leur engagement envers un avenir possible qui reflète
cette justice, autonomie et liberté, dans la mise en œuvre, bref, d’un projet émancipateur pour
toute la collectivité québécoise.