lundi 21 janvier 2013

Intervention préparée pour le Forum citoyen de Gatineau en marge préparatoire (!) du Sommet sur l'enseignement supérieur


19 janvier 2013


Je tiens à saluer la création du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie par le gouvernement Marois. Il s’agit d’un geste d’une grande importance pour reconnaître l’apport des études supérieures à la formation citoyenne et à l’élaboration de projets collectifs.

À cet égard, il importe de réitérer les fonctions critique, émancipatrice  et prospective de l’éducation supérieure.  Elles sont absentes du cahier du participant préparé par l’Institut du Nouveau Monde. Le développement de l’esprit critique, c’est bien, mais former à la critique et à l’action critique, c’est mieux.

Une société qui aspire à être juste, bonne (au sens philosophique) et autodéterminée ne peut faire l’économie de la critique. La critique est porteuse d’éthique, puisqu’elle remet en question les conditions et les intentions de l’action humaine et sociale. Elle soulève les enjeux des intérêts au service desquels les citoyens sont souvent contraints d’agir, la plupart du temps à leur insu.  Elle agite les impératifs de la justice, de la rigueur, du bien commun et de la raison devant les injonctions des intérêts privés qui s’y opposent.  Elle historicise les enjeux sociaux afin d’en exposer les racines. Elle est l’esprit critique en action, elle est l’antidote de la corruption, entre autres. Parmi ses corollaires se trouve la recherche fondamentale, qui nous a semblé négligée dans le cahier du participant et qui ne peut survivre au modèle marchand de l’université.

Cette fonction critique a été grandement mise à mal dans les dernières années, en outre parce qu’elle dérange la marche de l’entreprise néolibérale vers l’asservissement des institutions publiques à l’intérêt privé et à la logique marchande.  La fonction critique a surtout été violemment attaquée comme déviance dans le cadre de la lutte étudiante et sociale de 2012.  La non-conformité, la remise en question et la déconstruction du discours dominant sur l’université entrepreneuriale et son approche client a valu à un nombre important d’étudiants, de professeurs et de citoyens des étiquettes liées à la déviance : radicaux, extrémistes, hystériques, violents, dangereux, etc. Les partisans du pouvoir, dont certains au sein même de l’université, ont voulu corriger cette déviance, la réprimer, parfois violemment. Nous attendons toujours réparation.

La critique est pourtant le fondement des fonctions émancipatrices et prospectives de l’éducation supérieure et de la recherche. Elle permet les constats francs et éclairés, les analyses rigoureuses et complexes, qui doivent précéder et accompagner toute tentative de construction de savoir.  Elle habilite les acteurs sociaux à la pensée et à l’action libre et autonome, puisqu’elle appelle l’usage public de la raison, tout en incitant à la prudence morale. Or, cet usage public de la raison doit être revalorisée et les collèges et universités doivent reconnaître que les étudiants et professeurs sont des intellectuels publics.

L’éducation supérieure porte comme mission l’émancipation des esprits et de l’action humaine de l’intérêt privé, que l’on définit comme tout intérêt qui ne peut servir qu’à l’avancement de la condition d’un groupe particulier. Il est l’intérêt du colonisateur, du libéralisme économique sauvage, de la logique marchande. Kant notait que l’esprit humain asservi n’atteindra jamais sa «majorité» au sens de sa souveraineté, sans reconnaître son asservissement et les forces et intérêts qui le sous-tendent par la critique. Il doit agir avec courage et résolution pour s’en libérer. 

Or, ce n’est pas dans une université assujettie au modèle marchand, où il est conçu comme client que le citoyen québécois arrivera à s’émanciper des forces paternalistes qui le gardent dans un état de mineur, de colonisé, de servitude à des intérêts particuliers qui sont par définition opposés à son projet d’émancipation. Une université qui attelle son destin à celle de l’entreprise privée ne peut rien pour libérer les esprits. La définition de la qualité de la formation, le mode de financement de l’éducation supérieure et de la recherche doivent impérativement et nécessairement être indépendants de ces intérêts particuliers.

Il importe ainsi de boucler la boucle avec la fonction prospective de l’Éducation supérieure. Appuyée sur la critique, des citoyens libres, autonomes et émancipés des intérêts particuliers, pourront discerner les avenirs possibles et d’identifier les conflits et contradictions de l’ordre social existant qui pourraient faire avancer la société vers l’un ou l’autre de ces avenirs.  En ce sens, elle peut servir de guide pour les choix et l’action politique émancipatrice.

La valeur d’un diplôme universitaire ne saurait ainsi se mesurer par sa valeur «marchande».

L’évaluation de la qualité de la formation ne peut donc reposer sur le modèle de rentabilité ou se refléter dans la seule «prospérité économique» d’un groupe restreint de citoyens québécois. Elle ne peut que se mesurer dans l’expression et la participation critique de tous les citoyens, dans les efforts qu’ils déploient envers la justice et le bien commun, dans leur déclaration en gestes et en paroles de leur autonomie et de leur liberté, dans leur engagement envers un avenir possible qui reflète cette justice, autonomie et liberté, dans la mise en  œuvre, bref, d’un projet émancipateur pour toute la collectivité québécoise.



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