dimanche 31 août 2008

En deuil

Orlando Fals Borda, sociologue colombien, décédé il y a quelques jours déjà.

Je l'ai connu grâce à Marta Anadon.

Il retrace l'histoire de son oeuvre dans l'excellent Action Research Handbook de Reason et Bradbury. Il a établi de solides remparts contre le positivisme.

"Do not monopolise your knowledge nor impose arrogantly your techniques, but respect and combine your skills with the knowledge of the researched or grassroots communities, taking them as full partners and co-researchers. Do not trust elitist versions of history and science which respond to dominant interests, but be receptive to counter-narratives and try to recapture them. Do not depend solely on your culture to interpret facts, but recover local values, traits, beliefs, and arts for action by and with the research organisations. Do not impose your own ponderous scientific style for communicating results, but diffuse and share what you have learned together with the people, in a manner that is wholly understandable and even literary and pleasant, for science should not be necessarily a mystery nor a monopoly of experts and intellectuals." Fals Borda, cité dans The Guardian.

C'est une de mes principales sources d'inspiration, qu'il s'agisse de recherche, d'enseignement ou de vie :

«We feel there is still a need for active crusaders and heretics for the great adventure of people's emancipation, in order to break the exploitative ethos that has permeated the world with poverty, oppression and violence for much too long.» Fals Borda, dans Reason et Bradbury, p. 32

Nous voilà avec un merveilleux hérétique en moins.

Souhaits pour la rentrée

Pour la rentrée, je souhaite…

- que les enseignants se souviennent de la magie des découvertes et du bonheur que provoquent les mots d’encouragement et de félicitations;
- que les directions reconnaissent que la magie de la classe et de l’école découle de l’esprit d’une communauté solidaire, qui fait preuve de délicatesse et de confiance envers tous ses membres, qui reconnaît que la diversité et le chaos humains sont à accueillir à bras ouverts, non à bannir en faveur de la norme et de la règle;
- que les parents sachent que l’on est amoureux de notre travail et de nos élèves, que l’on fait ce qu’on peut mais qu’on a toujours besoin de leur appui;
- que les parents voient leurs enfants comme autant de joyaux précieux et uniques et que la préservation de cette unicité est le meilleur rempart contre le cynisme, les identités étouffées, la sujétion à un système qui objectifie l’humain, la perte du soi réel, etc.
- que les élèves sachent qu’ils ont des droits, parmi lesquels se trouvent la protection contre la violence symbolique et réelle du système capitaliste actuel, qui se traduit souvent à l’école par un appel à la compétition, au triomphe du plus fort, au rendement comme gage de réussite, à la conformité comme gage d’adaptation
- que tous ces acteurs résistent et reconnaissent l’école comme lieu de reproduction potentielle, certes, mais aussi comme lieu premier (noyau) de rupture avec le statut quo.

Bonne rentrée à tous… n’hésitez pas « Speak up, even if your voice shakes»

mardi 26 août 2008

Dumont s'inspire de Gordon Brown

Avant les déclarations de Dumont ce matin sur le besoin de ramener les équipes sportives et la discipline à l'école afin de combattre la délinquance, le premier ministre du Royaume-Uni, Gordon Brown, proposait de réinstaurer la compétitivité via les sports à l'école. Ses arguments sont euh.... faibles ? (lire crétins)

"We want to encourage competitive sports in schools, not the 'medals for all' culture we have seen in previous years," he said. "It was wrong because it doesn't work. In sport you get better by challenging yourself against other people. A lot of sports are team games where people have to work together but they play against other teams."

Brown said the government had now begun to "correct the tragic mistake of reducing the competitive element in school sports".

By 2012 there will be a generation of children inspired by our heroes in Beijing. We've now got 19 gold medals, this is a new opportunity to follow in their footsteps," Brown said. The proposal would "contribute towards the legacy" of the London Olympics.

Plans are also under way for a new website for school sports where teams will be able to compare their performance in nationwide league tables.

Defending the decision to include contact sports such as boxing and martial arts in the list of activities that will be available to children, Brown said: "I have met quite a lot of amateur boxers. At one of the clubs I said to one of the young guys there who I'd been told had been in some trouble in the past: 'Tell me, what's the most important thing you have learned here'. His answer was 'discipline'."

Ah... moi qui croyait qu'il fallait plus de coopération, moins de compétition.

Le modèle capitaliste appliqué aux activités sportives des élèves. Ça donne quoi, encore ? Peut-être que Brown devrait lire la recherche de Roché, lui aussi.

Enseigner le concept d'évolution aux enfants des créationistes

...pas un mandat facile. Mais depuis que la Floride, ainsi que d'autres états américains ont imposé l'enseignement de l'évolution aux élèves du secondaire, c'est le mandat de plusieurs enseignants.

J'ai trouvé cette perle dans Le New York Times

With a mandate to teach evolution but little guidance as to how, science teachers are contriving their own ways to turn a culture war into a lesson plan. How they fare may bear on whether a new generation of Americans embraces scientific evidence alongside religious belief.

“If you see something you don’t understand, you have to ask ‘why?’ or ‘how?’ ” Mr. Campbell often admonished his students at Ridgeview High School.

Yet their abiding mistrust in evolution, he feared, jeopardized their belief in the basic power of science to explain the natural world — and their ability to make sense of it themselves.

Passionate on the subject, Mr. Campbell had helped to devise the state’s new evolution standards, which will be phased in starting this fall. A former Navy flight instructor not used to pulling his punches, he fought hard for their passage. But with his students this spring, he found himself treading carefully, as he tried to bridge an ideological divide that stretches well beyond his classroom.

A Cartoon and a Challenge

He started with Mickey Mouse.

On the projector, Mr. Campbell placed slides of the cartoon icon: one at his skinny genesis in 1928; one from his 1940 turn as the impish Sorcerer’s Apprentice; and another of the rounded, ingratiating charmer of Mouse Club fame.

“How,” he asked his students, “has Mickey changed?”

Natives of Disney World’s home state, they waved their hands and called out answers.

“His tail gets shorter,” Bryce volunteered.

“Bigger eyes!” someone else shouted.

“He looks happier,” one girl observed. “And cuter.”

Mr. Campbell smiled. “Mickey evolved,” he said. “And Mickey gets cuter because Walt Disney makes more money that way. That is ‘selection.’ ”

Il y a du jus dans cette leçon, les amis...

Dumont blâme l'école pour les tensions à Montréal-Nord

Les émeutes de Montréal-Nord ce mois-ci m'ont réellement bouleversée. Premièrement, parce que c'est ma ville natale et qui j'y ai passé une part importante de mon enfance. Dans mon quartier, j'y ai toujours vu une grande cohésion sociale, une interdépendance saine de toutes sortes de cultures (particulièrement italienne et haïtienne). En face de chez mes parents habitent des Péruviens et des Haïtiens, à côté d'eux, des Italiens et à quelques maisons, des Portugais.

Dans les parcs de l'arrondissement, aujourd'hui comme dans mon temps, les jeunes s'attroupent, comme ils disent à la télé. Ils jasent, ils planifient leur prochaine soirée, ils jouent aux dés, etc.

Est-ce que tous les jeunes de Montréal-Nord sont des saintes-nitouches ? J'en doute. est-ce que les groupes de jeunes dans les parcs sont des gangs de rue ? Permettez-moi d'en douter aussi. On a pathologisé la jeunesse. J'aimerais bien savoir ce qui constitue un gang de rue, pour tous ceux qui se sont prononcés à ce sujet. La jeunesse fait peur, particulièrement lorsqu'elle est d'autant plus étrangère parce que composée de communautés culturelles différentes. On ajoute la peur d'une jeunesse déjà classée comme délinquante et aliénée à celle de l'Autre. Et l'Autre, ici, vit dans des conditions déplorables, souvent. Mais inutile de chercher du côté des inégalités sociales et des relations de pouvoir. Inutile de tenter une approche démocratique, sociale, émancipatrice.

La preuve ? Mario Dumont [sic] propose un projet à l'américaine, car selon lui, les Américains ont réglé les tensions sociales, raciales et des générations en enrôlant les jeunes dans les équipes sportives qui, analogues aux rangs des militaires, insufflent à la jeunesse américaine le sentiment d'appartenance, les valeurs civiques, la DISCIPLINE.

Donc... la jeunesse est une maladie, il faut la guérir par la force.

Bien voilà. Ignare que je suis, je n'avais pas vu que les équipes sportives et la discipline à l'école avaient réglé les tensions sociales et le crime chez les jeunes aux États-Unis. Je croyais avoir lu une pléthore de statistiques quant aux crimes contre la personne commis justement par un nombre disproportionné de membres de ces équipes sportives - rites d'initiation d'une violence inouïe, viols, etc. Je croyais avoir lu la semaine dernière qu'un élève en avait tué un autre au Tennessee. et que dire de ceci :
«During the 2005–06 school year, 86 percent of public schools reported that at least one violent crime, theft, or other crime occurred at their school. In 2005, 8 percent of students in grades 9–12 reported being threatened or injured with a weapon in the previous 12 months. In the same year, 28 percent of students ages 12–18 reported having been bullied at school during the previous 6 months. In 2005, among students ages 12–18, there were about 1.5 million victims of nonfatal crimes at school, including 868,100 thefts and 628,200 violent crimes» (U.S. Department of Education, National Center for Education Statistics, Indicators of School Crime and Safety, 2007).

C'est facile de proposer des pseudo-solutions, c'est autre chose de proposer des solutions intelligentes et fondées sur des preuves de leur efficacité. M. Dumont ne s'enfarge par dans la rigueur ou même l'intelligence, mais propose comme ça, sans y réfléchir, des actions qui pourraient être désastreuses à moyen et à long terme. On sait tous que la répression («discipline» comme l'appelle Dumont» ) ne modifie pas les comportements des jeunes. Que dire de cette engouement soudain pour le sport ?

«Les études contestent l’impact positif du sport sur l’agressivité et la violence. Alors qu’apparaissent ses premières limites, faut-il repenser la politique du sport en France? Le sport réduit-il (vraiment) la violence ?


Plus de sport, plus de délinquance chez les jeunes, par Sébastian Roché, 2005 : Anonymement, 4.000 jeunes de 13 à 19 ans, interrogés en 1999 et en 2003, étaient invités à quantifier le nombre et la nature des délits qu’ils avaient commis, tout en donnant des renseignements précis sur leur pratique sportive. Résultat : les garçons qui pratiquaient un sport reconnaissaient à 29,2 % avoir commis un délit grave, tandis que ceux qui ne pratiquaient pas de sport étaient deux fois moins nombreux (14,9 %) à se reconnaître délinquants. L’étude mettait également en évidence que plus la pratique était intensive, plus le taux de délinquance augmentait, et que les jeunes de plus de 15 ans issus de milieux populaires étaient aussi les plus sensibles à la corrélation sport violence.

À l’occasion de l’étude, les jeunes étaient également invités à déclarer où avaient eu lieu leurs dernières bagarres. Là encore, le résultat allait dans le même sens : les terrains de sports arrivaient en tête (24,3 %), devant la sortie de l’école (17,4%) et les discothèques (13%). Dans aucun des groupes étudiés, la pratique d’un sport n’était associée à la réduction de la délinquance. La socialisation de l’agressivité, (d’après «Sport et Agressivité», éditions Desiris), par Luc Collard, 2004 : Dans le cadre de la réforme du temps scolaire, le ministère de l’Education nationale voulait savoir si faire du sport tous les jours diminuait l’agressivité des élèves. Luc Collard, un chercheur amiénois a alors comparé les comportements de deux groupes de 72 élèves, l’un dit «sportif» (qui faisait du sport tous les jours à l’école), l’autre normal (deux heures hebdomadaires), en les soumettant à un jeu. Les enfants avaient deux possibilités : ou bien une action non agressive (passe amicale ou libération d’un des prisonniers), ou bien un shoot agressif sur un de leurs camarades, afin de l’éliminer. Comme il n’y avait pas d’équipe, l’enjeu était réduit au minimum. Au début de l’année, les résultats des deux classes étaient semblables. A la fin, la classe «sportive» avait vu la part des «shoots» augmenter sensiblement – des deux-tiers aux trois-quarts – tandis que la classe normale avait au contraire vu le nombre de shoots agressifs diminuer. Autre expérience menée : faire jouer des rugbymen, handballeurs et basketteurs à chacun des trois sports. L’étude montrait que ceux qui pratiquaient le sport le plus violent des trois (le rugby) reproduisaient leur forme d’agressivité (les plaquages) lorsqu’ils jouaient au handball et au basket. Ce qui remet en cause l’idée selon laquelle le sport apprendrait à respecter les règles et à ne pas reproduire en dehors du terrain les gestes qu’on y a appris. Jeunes, sport et conduite à risque, par Marie Choquet, Inserm, 1998 :

Le sport a beaucoup d’atouts, note la chercheuse de l’Inserm (les pratiquants sont en meilleure santé, fument moins et boivent moins d’alcool), mais les conduites violentes ne déclinent pas avec la pratique sportive.»


(Le sport réduit-il vraiment la violence ?)

Présentation de la recherche par Sébastien Roché, sociologue français, directeur de recherches au CNRS. Une chose apparaît nettement : si le sport est parfois pris par certains comme un limiteur de la délinquance chez les adolescents issus des milieux populaires, les résultats présentés ici sur la base de l’étude de 1999 ou de 2003 vont clairement à l’encontre de cette idée. De manière plus détaillée, les résultats indiquent que parmi les enfants ayant des activités de loisirs en face à face et/ou des implications associatives liées au sport :
• la pratique du sport (exclusivement ou conjointement avec d’autres activités) n’est jamais un facteur associé à moins de délinquance grave ;
• la pratique du sport est plusieurs fois associée à plus de délinquance grave, et notamment pour les garçons ;
• l’intensité de la pratique du sport (mesurée en nombre d’heures par semaine) n’est jamais associée à une moindre délinquance mais permet, au contraire, de prédire un accroissement des taux d’auteurs de délits graves pour plusieurs sous-populations : le lien entre intensité du sport et délinquance est vérifié pour les garçons, les enfants des ouvriers et les jeunes de 17 ans et plus, il l’est dans une des enquêtes mais pas l’autre pour les cadres et pour les 13-14 ans et les
15-16 ans ;
• l’encadrement de la pratique du sport est un facteur d’une moindre délinquance que la pratique non encadrée du sport pour les plus jeunes (pour les 13-14 ans) et les enfants des cadres, mais pas pour les plus âgés (17 ans et plus) ou les enfants des ouvriers ;
• les manifestations sportives forment le premier lieu de bagarre identifié par les jeunes de 13- 19 ans qui se sont eux-mêmes battus durant la période de référence. […]


Sur la base des enquêtes, il est difficile d’établir les raisons de la corrélation positive entre pratique du sport et délinquance, lorsqu’elle se vérifie, et de trancher entre ces hypothèses. Plusieurs facteurs pourraient faire du sport un facteur favorisant la délinquance ou ne permettant pas de la limiter, et permettre ainsi d’expliquer les résultats obtenus. La pratique du sport n’est pas, en elle-même, nécessairement bénéfique pour freiner la délinquance. En effet, le sport peut être l’occasion : d’apprendre à aller au contact physique pour réaliser ses objectifs ; de favoriser un esprit compétitif et d’apprendre à contourner les règles pour gagner ; de voir valoriser des comportements « viriles » et parfois brutaux (ce que font certains parents sur la touche ou même parfois l’entraîneur) ; de développer des capacités physiques utiles sur le terrain ou aussi en dehors pour la délinquance de rue (courir) ; de valoriser des conduites impulsives (prendre sa chance) ; de permettre des apprentissages d’usage de la force (sports de combat) ou d’utilisation de coups pour avoir ce que l’on désire ; de générer des occasions de bagarre.

«Plus de sport, plus de délinquance chez les jeunes»
Sebastian Roché Directeur de recherche au CNRS – PACTE-Institut d’études politiques de Grenoble, responsable du pôle « sécurité et société ». Recherches et Prévisions n° 82 - décembre 2005

mardi 19 août 2008

À diffuser parmi les enseignants


Le site jeunesse du Conseil du statut de la femme, qui regorge d'activités pédagogiques et qui encourage les filles à s'engager dans la lutte contre la pub sexiste.

Je vais transmettre cette information à mes étudiantes de Bac. Si vous pouviez diffuser l'info dans votre milieu, ce serait génial !

Je jure que je déménage en Amérique du Sud

Le Paraguay passe à gauche à son tour !

Après 62 ans de gouvernement conservateur, la population du Paraguay remet le pouvoir à un théologien de la libération, Fernando Lugo !

Un de ses premiers gestes comme président : il a nommé Margarita Mbywangi, une autochtone et chef de la nation Ache, au poste de ministre des affaires autochtones. Capturée dans la jungle alors qu'elle était enfant, Mbywangi a été vendue à des propriétaires terriens comme esclave.

C'est symbolique, en fait, puisque comme ailleurs en Amérique latine, il existe au Paraguay un système plutôt féodal, où 2 à 3 % de la popualtion contrôle 95 % des terres cultivables. Ce sont ces propriétaires terriens qui ont gardé la population asservie et le gouvernement conservateur au pouvoir. Les mêmes qui ont réduit Mbywangi à l'esclavage. La voilà ministre dans un gouvernement qui rejette le pouvoir des propriétaires terriens et qui entendent redistribuer les terres.

Je jubile

ils ont mis quoi, dans l'eau de l'Amérique du Sud ? et est-ce que je pourrais en avoir un peu ?

Techniques de pouvoir selon Gore (2002)

Les techniques de pouvoir dans l’interaction pédagogique (au niveau micro, pas macro) recensées par Gore dans son étude multisites (2002).

Surveillance: Superviser, observer attentivement, regarder, menacer de regarder, éviter d’être regardé

Normalisation: invoquer, exiger, imposer ou se conformer à une norme, définir la norme et le normal

Exclusion: tracer les limites qui définissent la différence, les frontières, les zones, le pathologique

Distribution: diviser en parties, arranger et classer les corps dans l’espace

Classification: différencier les individus, les groupes, les uns des autres

Individualisation: Donner un caractère individuel à, spécifier un individu

Totalisation: Donner un caractère collectif à, spécifier une collectivité/un tout, désir de conformité

Régulation: contrôler par les règles, rendre sujet aux restrictions, adapter aux exigences, invoquer une règle, inclure la sanction, la récompense, la punition.

Relations de pouvoir dans la pédagogie

Jennifer Gore, connue en outre pour son travail sur la pédagogie féministe, présente l’ébauche d’une théorie des relations de pouvoir dans la salle de classe. Bien qu’elle s’appuie sur les théories de pédagogies radicale et critique, elle les fustige également pour leur manque d’action. Comme elle le dit si bien, la pédagogie, c’est une question d’action, de praxis. Alors ouste la théorie abstraite et bonjour la théorie ancrée dans les observations sur le terrain – dans les salles de classe, les écoles, les salles de profs.

Pour ce faire, Gore se sert de l’analyse critique du discours et de l’analyse foucaldienne du pouvoir, des théories des relations de pouvoir dans les contextes pédagogiques de Bernstein (1990) et de ses propres travaux en pédagogie radicale.

Une recherche empirique multisites lui permet de formuler les propositions suivantes :

Les relations de pouvoir mises en œuvre dans l’action pédagogique ont trois effets :
1. Elles construisent des relations entre les acteurs, soit entre les enseignants, entre les enseignants et les élèves, ainsi qu’entre les autres stakeholders comme les gestionnaires, les parents, le personnel de soutien, etc. ;
2. Elles construisent le soi (habitus ou subjectivité), c’est-à-dire que les élèves et les enseignants sont façonnés par leur implication, leur engagement dans la pédagogie (je vois du potentiel, ici) ;
3. Elles construisent les savoirs (le discours), c’est-à-dire ce que les élèves et enseignants arrivent à savoir, soit par le biais du curriculum explicite ou du curriculum caché, constitue et est constitué par les relations de pouvoir (espoir... ?).

Ce qui me pousse à croire (et ici, vous me lancerez des roches si vous n’êtes pas d’accord, je pense tout haut…) que ce que l’on sait est autant le produit des relations observées, vécues et appropriées sous toutes leurs formes que du discours officiel… donc, tant que la posture des acteurs de la pédagogie est non démocratique ou ne reflète pas les valeurs sous-jacentes à l’égalité intersubjective requise pour développer les compétences citoyennes, l’éducation à la citoyenneté se trouve diluée par le curriculum caché et les relations de pouvoir dans la classe. C’est un paradoxe… j’enseigne les compétences citoyennes, mais le message qui est véhiculé en est un de surveillance (discipline, gestion de classe), de normalisation, exclusion, classification (évaluation) et de hiérarchie (le savoir-pouvoir légitime est celui de l’enseignant, du programme).

Si les relations, l’habitus et le savoir-pouvoir sont les composantes de la pédagogie… Est-ce possible d’éduquer à la citoyenneté dans un tel contexte ?

Gore va plus loin, proposant que...
- La pédagogie est la réalisation des relations de pouvoirs, mais…
- Le pouvoir est inévitable – on ne doit pas le fuir, mais l’accueillir
- Les relations de pouvoir de la pédagogie sont normalisantes, il y a donc des limites à ce que peut réaliser la pédagogie radicale

[parce que]

La pédagogie est réalisée via un ensemble limité de techniques spécifiques de pouvoir. Donc, pour surmonter les relations de pouvoir répressives de l’interaction pédagogique, il va falloir plus que l’adoption de pratiques différentes en classe (ah ! il faut un changement de paradigme ontologique, politique, sociologique, rien de moins !).

La question, pour Gore, n’est pas si l’on utilise ou non certaines techniques de pouvoir, mais plutôt comment on les utilise et quels en sont les effets.

Elle propose aussi, selon l'optique foucaldienne, toujours, que :
- Les corps sont les objets/instruments des relations de pouvoir pédagogiques
- Les relations de pouvoir en pédagogie sont observables (ont des manifestations physiques), ce qui appelle les chercheurs au travail empirique autant qu’au travail spéculatif dans le développement de théories éducatives.
- La façon dont opère le pouvoir sur les corps a des implications directes sur la construction des subjectivités des élèves et des enseignants (ça s’observe dans toutes les classes du Québec ! Les corps dociles et passifs des élèves à leur pupitre, le corps actif, autoritaire de sa position debout de l’enseignant…)

- La sanction institutionnelle de l’exercice du pouvoir donne un caractère corporel à l’exercice du pouvoir dans les institutions formelles d’éducation (là, on peut penser au Monsieur le directeur qui circule dans les couloirs comme manifestation corporelle du pouvoir…)

D’ailleurs, Foucault dit que le pouvoir s’opère par le corps, puisqu’il s’opère par l’action.
Alors, malgré toutes les meilleures intentions, notre corps d’enseignants et leurs corps d’élèves, culturellement assignés à un niveau dans la structure de pouvoir, sont si inscrits (tatoués ?) du curriculum caché (normalisation, soumission, autorité, etc.) qu’il faut d’abord déconstruire ces inscriptions (est-ce possible ?)

Gore conclut que les enseignants devraient …
Accueillir le pouvoir et s’en servir consciemment, c’est-à-dire conscients des effets du pouvoir en termes de relations, d’habitus et de savoirs produits par la pédagogie.

Je n’ai pas fini de tout digérer, même si ça fait trois semaines que j’y pense. Tout de suite, je vois plus de limites que de possibilités et une tâche énorme quant à la recherche empirique en ce qui concerne les manifestations de pouvoir dans les salles de classe, qu'il faut documenter... pour faire des relations de pouvoir, des techniques de pouvoir et des composantes de la pédagogie des instruments de conscientisation et d'émancipation plutôt que de régulation sociale et de normalisation/sélection/exclusion.

dimanche 17 août 2008

Molson s'étouffe sur sa pub

Peut-être en avez-vous eu vent, mais la compagnie Molson a publié cette année un calendrier de Belles Filles Molson Ex sur son site Internet.

Or, bien que le tout soit misogyne, malsain, de mauvais goût etc., une des images en particulier était carrément criminelle. Une jeune femme nue, ligotée à un poteau, le regard vide ... Incitation à la séquestration, à la violence contre les femmes, l'ultime image de la femme-esclave, sans moyens, à la merci de ....

J'ai choisi de faire quelque chose de constructif. J'ai formulé une plainte officielle au Conseil des normes canadiennes de la publicité. Pas un petit mot comme ça en passant, mais un dossier citant le code criminelle et la charte des droits de la personne.

Deux semaines plus tard, j'ai reçu une lettre m'indiquant que le Conseil s'était rassemblé à ce sujet. Voici comment on me relate l'évaluation du dossier.

«Le Conseil comprend que cette catégorie de produit utilise très souvent des femmes et des hommes séduisants dans sa publicité. Cependant, après de longues délibérations, le Conseil est parvenu à la conclusion que les images de femmes presque nues et les positions dans lesquelles elles étaient photographiées dans le calendrier web, discréditaient et dénigraient les femmes, les réduisant au rang d'objet et exploitant leur sexualité dans le but de vendre un produit, ce qui contrevient à l'article 14 (c) du Code.

NCP a prévenu l'annonceur de la décision rendue par le Conseil. Nous avons appris de l'annonceur qu'il allait retirer le calendrier du site de Molson Export et de tout autre site web existant.»

Victoire !

Toutefois, j'ai besoin des amis de la Toile pour assurer que ce calendrier maudit est bel et bien retiré. Si vous le voyez, prière de me le laisser savoir. Vous savez où me trouver.

Sur ce, je conclus en réitérant l'importance de l'éducation pour promouvoir des relations hommes-femmes saines, égalitaires et solidaires. et une politique nationale contre le harcèlement sexuel dans les écoles. C'est bien avant que l'on ait l'âge de boire la bière que ça commence, la misogynie !

Un cercle réduit

Absente depuis 2 mois ... dans les livres, en stage de recherche, rédigeant un chapitre de livre, un chapitre de cahier d'activités, 3 chapitres de guide d'enseignement... sans compter les merveilles d'enfants, les 4, qui développent des passions pour l'archéologie - passions qu'il faut nourrir, bien entendu

Ma grande-tante est décédée il y a deux semaines. En fait, c'était «Tante Thérèse», que je connaissais comme une tante-gâteau, brillante, ardente syndicaliste... mais voilà que je découvre que Tante Thérèse était aussi une grande féministe. Je ne le savais pas. Personne ne m'en avait parlé et j'ai des remords profonds. Je constate que ce n'est pas que moi qui perd une tante, mais la collectivité militante qui perd une soeur.

Ma tante était la première membre et co-fondatrice du Comité national des femmes du SFPQ, un syndicat dont 66 % des membres sont des femmes. Elle s'est battue en comité fantôme, comme on l'appelle, parce que l'exécutif (majoritairement composé d'hommes) n'a pas cru bon de reconnaître un comité national de femmes. Incroyable.

ici, une petite vidéo avec ma tante, Thérèse Ratelle, qui raconte la création du Comité national des femmes.

Tout ça pour dire, qu'en réalité, j'ai de sérieuses inquiétudes en ce qui concerne l'avenir des femmes. Un reportage récent dans le très rigoureux The Guardian faisait état d'un ressac important contre le mouvement féministe en Angleterre (berceau du féminisme moderne, selon plusieurs) et aux États-Unis. Il y a fort à parier que si l'on regarde les mêmes indicateurs au Québec et au Canada, le portrait émergeant de la situation n'est guère plus glorieux.

«The piece pointed out that the rape conviction rate in Britain has plummeted from 33% in the 70s to just 5.7% today, and that the 14,000 rapes reported each year are thought to be the tip of the iceberg - Solicitor General, Vera Baird, suggested that only 10%-20% of all cases are brought to the attention of the authorities. The article quoted a barrister called Kerim Fuad, who has represented many men accused of rape, and who admitted that he had been surprised by some "not guilty" verdicts - including those in which the plaintiff had sustained internal injuries. It alluded to an Amnesty International poll, conducted in 2005, which found that 26% of respondents thought that a woman was totally or partially responsible for being raped if she was wearing revealing clothing, and 30% thought she was totally or partially responsible if she was drunk.»

Voilà. J'ai depuis plusieurs années cette impression de la collectivité féministe comme un grand cercle, où les soeurs se tiennent par la main, s'épaulent, se regardent dans les yeux et se disent «encore un peu, on y arrive». J'ai longtemps senti que le cercle devenait plus grand, plus englobant, plus fort des appuis qui s'y ajoutaient. Le départ de Thérèse Ratelle, l'article du Guardian et mes propres constats en ce qui concerne la génération de ma fille me font craindre que le cercle est en fait en train de rapetisser, que ces géantes qui nous ont prêté leurs épaules pour que l'on soit plus grandes et que l'on ait une vue d'ensemble s'en vont... qui les remplace ?