Les mécanismes internes pour assurer la qualité de la recherche et de l'enseignement supérieur sont multiples et déjà en place: évaluation des cours par les étudiants, du travail des professeurs par leurs pairs, des articles scientifiques à double, triple insu, etc. Ce que propose l'assurance-qualité, c'est hiérarchiser les professeurs et détruire les mécanismes collégiaux (nécessaires à la survie de la recherche) pour les remplacer par des mécanismes marchands dont les critères seraient autres que scientifiques.
Les politiques gouvernementales sont des
injonctions normatives et non techniques, puisqu’elles s’articulent autour de
valeurs (leur institutionnalisation, reproduction et contestation) et de «leur
affectation autorisée» (Easton, 1953). La valeur attachée à la
recherche-création oriente ainsi les décisions relatives à son affectation. Or,
investies de la théorie du capital humain, les politiques gouvernementales
semblent concevoir que la recherche-action et la formation n’ont de valeur que
dans leur contribution à la production de biens et de services (Psacharopoulos
et Woodhall, 1997) et au rehaussement du positionnement de la nation sur
l’échiquier mondial, au dépens des relations de collégialité et de confiance à
la base même du développement des savoirs.
À ce sujet, Clark (2012, p. 298) rappelle
que «Les discours qui caractérisent les enjeux de standardisation et
d’assurance-qualité sont présentés […] par les politiciens comme relevant de
l’efficience technique plutôt que de choix normatifs». La première conséquence
de cette dérive instrumentale est de réduire la valeur de la recherche-création
à une dimension utilitaire de compétitivité qui appellerait l’adoption de
critères internationaux «consensuels» relatifs à l’efficience économique, sans
lesquels les chercheurs courraient à la perte de la nation. La seconde est de
dé-démocratiser la recherche-création et de créer le leurre des intérêts
nationaux monolithiques, alors qu’ils seraient uniquement ceux d’une élite
économique dominante. La troisième conséquence est d’occulter la nature
éminemment politique de ces choix, la remplaçant par la seule question
économique dans un processus de marchandisation et de commodification de la
recherche-création et des savoirs. Or, ces derniers ne peuvent être conçus
comme commodifiables, ni par leur nature, ni par leur fonction sociale, sans un
effet puissamment réducteur et contraignant sur la recherche, les programmes
d’étude et la pédagogie.
Les critères associés aux mécanismes
d’assurance-qualité nient la nature située, contextuelle, complexe et humaine
des processus de recherche-création. Ils ne peuvent rendre compte des nuances
épistémologiques du travail de recherche, ni de la relation symbiotique entre
la lecture des phénomènes à l’étude et les choix des chercheurs. La prétention
de neutralité ou d’objectivité qui caractérise la démarche d’assurance-qualité
réduit la recherche-création et la formation à un exercice technique et
instrumental et les savoirs qui en sont issus à des impératifs d’une
rationalité ayant comme conséquence de taire les divergences, le politique et
le moral qui qualifient toute entreprise humaine.
Cette dépolitisation du travail des
professeurs-chercheurs est une manifestation de l’érosion de la relation entre
le citoyen et l’État ensemble responsables du bien commun au profit d’une
relation économique entre le citoyen consommateur et de l’État fournisseur. Ce
citoyen et cet État réclament ainsi un produit rentable, fabriqué à moindres
coûts et dans des conditions d’efficacité maximales. Voilà les critères de
l’assurance-qualité. Le technocrate
compétent, à la fine pointe technologique et doté d’une grande capacité
d’adaptation, tant réclamé par une telle vision, se trouverait par conséquent
aussi dans un régime autoritaire, voire fasciste.
Je répète:
L’évaluation de la qualité de la formation doit conséquemment reposer sur la
mesure de l’expression et de la participation critique des citoyens, dans les
efforts qu’ils déploient envers la justice et le bien commun, dans leurs
déclarations en gestes et en paroles de leur autonomie et de leur liberté, dans
leur engagement envers un avenir possible qui reflète cette justice, autonomie
et liberté, dans la mise en œuvre d’un projet émancipateur pour toute la
collectivité québécoise.
Clarke, M..
(2012). The (absent) politics of neo-liberal education policy. Critical Studies in Education, 53(3),
297-310
Easton, D. (1953). The political system. New York, NY:
Knopf.
Psacharopoulos,
G et Woodhall, M. (1997). Education for
Development: An Analysis of
Investment Choice. New York : Oxford University Press.