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Institut national d’excellence en
éducation: un danger qui guette les élèves, les enseignantes et enseignants,
les chercheuses et chercheurs
Quatre enjeux
alimentent mon opposition à la création de cet Institut : 1) la soumission
de l’éducation aux logiques et principes de la Nouvelle gestion publique et ses
impératifs de rentabilité ; 2) le détournement des finalités éducatives
vers la marchandisation et le capital humain ; 3) la déqualification
(deskilling) des enseignantes et enseignants et les attaques frontales à leur
autonomie professionnelle et 4) la délégitimation de certaines formes et
perspectives de recherche.
Nous reconnaissons dans le document de consultation sur la création de l’Institut
une volonté affirmée d’améliorer les pratiques éducatives. Cela nous semble un
objectif noble. Toutefois, une lecture plus attentive nous permet de
constater la présence de concepts clés associés aux diverses approches
inspirées de la Nouvelle gestion publique, dont les concepts des «meilleures
pratiques», les «données probantes» et les indicateurs quantitatifs supposés
rendre compte du succès, voire de la rentabilité du système d’éducation
québécois. Dans une telle perspective, nous ne sommes pas étonnés de constater
que si une analyse différenciée selon le genre et la langue est présentée,
l’analyse différenciée selon l’indice d’appauvrissement (communément appelé
«défavorisation») est absente, occultant ainsi une donnée stable et persistante
dans le monde occidental, c’est-à-dire la condition socioéconomique de l’élève
et de sa famille (l'indice du seuil de faible revenu et l'indice de milieu
socio-économique [IMSE] se révélant comme déterminants importants de la non
persévérance scolaire[1]). Nous constatons que le document
comporte implicitement à ce sujet une prémisse à nos yeux dangereuse et
erronée, soit celle qui identifie les pratiques des enseignantes et enseignants
(qui semblent particulièrement visés par ce document) comme prioritairement
responsables de la non-réussite scolaire. Cela fait porter un fardeau démesurément
lourd à ces actrices et acteurs de l’école, considérant la complexité des
facteurs ayant une incidence sur cette non-réussite.
Plus encore, le tableau établissant la
validité de la preuve scientifique, présenté à la page 13 du dossier de
consultation, rejette d’emblée les recherches réalisées avec les praticiens
(recherche participative, recherche-action, recherche collaborative, par
exemple), les recherches fortement ancrées dans la prise en compte de la
complexité des contextes (les études de cas, ethnographiques, par exemple) afin
de ne favoriser qu’une forme de recherche scientifique, quantitative,
méta-analytique. Ces orientations confirment la fermeture idéologique,
épistémologique et méthodologique des orientations de ce projet d’institut.
Nous interrogeons également la
présentation univoque et non-problématisée des concepts de meilleures pratiques
et de résultats probants, aujourd’hui contestés dans les domaines et
disciplines à leur origine. Notons que l’idée que des pratiques puissent être
qualifiées de «meilleures» et transposées par imitation à des contextes variés
fait émerger de sérieuses questions sur le plan des critères d’évaluation des
pratiques. Nous déduisons de l’accent placé sur le taux de diplomation «dans
les temps prescrits» (cinq ans) qu’il s’agira du champ sémantique principal
pour déterminer la variable dépendante par laquelle les «meilleures» pratiques
seront identifiées. Il s’agit d’une conception réductrice de la réussite
éducative qui cache des visées de «rentabilité» .
À ce sujet, les diverses recherches
orientées autour de l’efficacité des systèmes éducatifs et des pratiques
enseignantes définissent souvent ces exigences dans une perspective de «capital
humain» : accéder à des études postsecondaires, obtenir des revenus plus
élevés, contribuer à l’essor économique du pays, notamment en n’engendrant pas
de couts pour l’État (Clanet, 2012).
«Nul besoin de souligner que face à une
finalité d’efficacité commensurable, les institutions se doivent d’ériger des
systèmes pour saisir les chiffres, les comparer entre eux, évaluer leur
adéquation aux indicateurs, revoir les indicateurs, et ainsi de suite, pour
contrôler le travail de leurs acteurs. Si, en éducation, apprendre et enseigner
(avec tout ce que cela implique pour la formation et le développement de chaque
individu) doivent être entendues comme activités de premier ordre, les
exigences liées à l’efficacité et à la performativité feraient plutôt des actes
d’évaluer, de comptabiliser et de contrôler les moteurs d’actions prioritaires,
reléguant apprendre et enseigner à des activités de second ordre.» (Demers,
2016)
Meilleures
pratiques, résultats probants
Par ailleurs, plusieurs auteurs
souligneront qu’il ne peut exister de «meilleures» pratiques lorsqu’il est
question de contextes humains complexes. Une transposition ou une application
rigide d’une «meilleure pratique», par exemple, dans un contexte complexe comme
l’enseignement pourrait réduire les horizons d’action ou la créativité requise
pour la résolution de problèmes souvent imprévus et émergeants, portant ainsi
implicitement le potentiel de faire moins bien. Au mieux, nous dirons certains,
nous pouvons espérer élaborer des pratiques contextuellement prometteuses
(Kaner, Bach et Pettichord, 2001; Reay, Berta et
Kohn, 2009; Turner, Haley et Hallencreutz, 2009).
En ce qui concerne les résultats
probants, bien que ces derniers soient présentés comme leviers pour régler tous
les maux associés à la pratique professionnelle, certaines voix s’élèvent
aujourd’hui pour remettre en doute la justifiabilité de la mise en œuvre de
«recettes» par des professionnels désormais dépendants de résultats de
recherche dont les conditions de production pourraient ne pas être compatibles
avec leurs conditions de pratique (voir l’analyse de Feinstein et Horwitz
[1997] et de Straus et McAlister [2000] dans le domaine de la médecine, par
exemple, ou Webb [2001] dans le domaine du travail social). Par ailleurs, les
recherches considérées fournir des résultats probants ne prennent pas en compte
ce que l’on identifie communément comme «soft data», c’est-à-dire les données
qui reflètent la complexité inhérente à chaque cas individuel. Elles
établissent plutôt une supériorité des données «dures» qui consistent en
patterns généraux dans une population. Or, aucun élève, aucun enseignant ne
saurait être décrit en ces termes et reconnu dans de telles recherches comme
acteur complexe et unique agissant au sein d’un système complexe et unique qui
agit sur lui et vice versa. Une vision de l’action éducative dans une
perspective de «résultats probants» serait non seulement réductrice des
situations vécues par les acteurs scolaires, mais également contraignante sur
le plan des solutions qu’il leur est possible d’envisager et incompatible avec
la formation d’un citoyen qui structure son identité et développe les
ressources pour définir sa vie bonne et agir conséquemment.
Enfin, une dimension centrale de
l’autonomie dans toute profession est la possibilité d’être l’auteur du
sens que l’on donne à notre travail, ce qui inclut bien entendu la possibilité
de formuler les finalités qui orientent notre action, de choisir et d’élaborer
les moyens qui nous permettent de rencontrer ces finalités en fonction de notre
identité professionnelle, de notre contexte de travail et des besoins qui en
émergent. Cela inclut également la possibilité d’être l’auteur et l’usager
premier des modes d’évaluation des effets de ces choix. La perte de cette
«autorité», puisque son sens premier est celui d’être auteur, est selon Clot
(2010) notamment, à l’origine d’une proportion importante du mal-être au
travail et des problèmes de santé qui y sont associés. Or, le pilotage de
l’action des enseignants par les «meilleures pratiques» issues de recherches
dont les résultats seraient «probants» porte justement atteinte à cette
autonomie professionnelle et aux conditions de bienêtre au travail. Qui plus
est, une telle perspective de l’éducation tend à réduire la validité de
l’action professionnelle à son effet sur la seule variable dépendante que sont
la note de passage et la diplomation. Enseigner implique des effets beaucoup
plus vastes et humains que la «réussite scolaire», difficilement quantifiables
mais essentiels à la formation citoyenne, au bienêtre et au développement
global des potentialités des individus. Placer l’accent sur la
rentabilité et la performance limiterait conséquemment tout aspect de
l’expérience scolaire qui n’est pas quantifié mais qui pourtant agi de façon
prépondérante sur la qualité de vie des personnes et leur participation
sociale.
Clot, Y. (2010). Le travail à coeur. Pour en finir avec les risques
psychosociaux. Paris : La Découverte.
Demazière, D., Lessard, C. &
Morrissette, J. (2013). Les effets de la NGP sur le travail des
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et Sociétés, 32(2), 5-20.
Demers, S. (2016). L’efficacité : une finalité digne de
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Feinstein, A. et Horwitz, R. (1997).
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Sanwal, A. (2008). The myth of best practices. Journal of
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(2009). Entre orthodoxie et pluralisme, les enjeux de l’éducation basée sur
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Straus, S. E., & McAlister, F. A.
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[1]
Ministère de l’éducation du Québec [2005]. La réussite scolaire des garçons et
des filles. L’influence du milieu socioéconomique. Québec : Gouvernement
du Québec. «Un milieu socioéconomique défavorisé constitue un facteur plus
discriminant que le sexe en ce qui a trait au retard des élèves à l’entrée au
secondaire», par exemple. Deux fois plus d’élèves des milieux les plus
défavorisés que ceux des milieux les plus favorisés quitte l’école sans obtenir
de diplôme, et ce, tant chez les garçons que chez les filles. «Plus le niveau
socioéconomique est faible (rangs 9 et 10), plus le taux de sortie avec diplôme
en 5e secondaire diminue, tant chez les garçons que chez les filles»
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