vendredi 4 avril 2008

La pyramide sociale

La pyramide de François Guité m'a fait penser à une expérience que j'ai réalisée avec des élèves de troisième secondaire, suite à des conflits de cliques centrés sur l'habillement. J'ai dessiné une pyramide au tableau, puis je l'ai divisée en 6. J'ai ensuite demandé aux élèves de reconstituer la hiérarchie sociale des élèves de l'école. Nous l'avons fait en plénière et les élèves ont accordé beaucoup de sérieux à l'exercice afin de rendre la réalité le plus fidèlement possible.

Au bas de la pyramide, c'était unanime, on trouvait les «CP», c'est-à-dire les élèves du cheminement particulier. Au-dessus d'eux, les «wannabees», ceux qui essaient trop fort et qui ratent la cible. Au-dessus d'eux, les fumeurs et les «rappers», suivis des «nerds» (groupe auquel la majorité de la classe s'identifiait, au PEI) et puis les athlètes et les «cheers» ou meneuses de claques. Suivaient ensuite les emos (pas de punks à mon école, à mon grand dam) et au-dessus de la pyramide, les «chicks», c'est-à-dire ceux qui «l'ont», qui sont beaux et qui ont du charisme.


C'est dans la justification de cette division qu'on a pu, tous ensemble, faire de la pédagogie critique et questionner les relations de pouvoir du haut vers le bas. Les élèves m'expliquaient combien chaque groupe méprise et se moque de ceux qui se trouvent sous eux, mais aspirent à devenir comme ceux qui sont au-dessus. C'est le microcosme parfait de la société occidentale compétitive. Qu'est-ce qui est à la base du pouvoir des plus haut placés ? Les élèves parlent de facteurs tels les vêtements à la mode, l'attitude désinvolte, la connaissance «qu'ils sont meilleurs que nous». Qu'en est-il des élèves du bas de la pyramide ? Cette question a provoqué des débats houleux, car les élèves ont constaté que les structures de catégorisation étaient plus puissantes que le seul code social de l'école, que souvent, même, leurs parents et quelques-uns de leurs enseignants classaient ainsi les jeunes et que les préjugés qui étiquetaient un élève dès la première secondaire restaient plus ou moins figés, ce qui réduisait toute possibilité de «mobilité sociale». Ce fut un moment de conscientisation particulièrement puissant, surtout quand j'ai questionné les élèves à savoir pourquoi ils n'étaient pas dans les strates supérieures «pas l'argent pour m'acheter les vêtements et les gadgets qu'il faut», «je suis nerd depuis la sixième année», etc. Et ceux qui sont catégorisés sous eux, alors ? Beaucoup de remises en question....

Comme les adolescents sont à cette étape cruciale où ils se définissent selon l'image que les autres leur renvoient, le groupe d'appartenance est particulièrement important. La division sociale qu'ils vivent à l'école atteint certainement cette définition et provoque des frustrations importantes. En discuter avec eux est particulièrement intéressant et dans notre cas, lorsque conjugué avec une étude des stades de développement humain d'Érikson (il faut essayer ça, les jeunes se reconnaissent comme ils étaient plus jeunes et comme ils le sont maintenant et apprécient particulièrement qu'on les informe sur les différentes théories de l'adolescence), a provoqué des réflexions ma foi très profondes.

3 commentaires:

Missmath a dit…

Vraiment intéressant comme activité. Je serais curieuse de savoir ce que cette pyramide devient entre les programmes, entre les cycles et même au Cégep. J'ai l'impression que la base de la pyramide serait occupée par les étudiants de sciences humaines, le haut par ceux de sciences de la nature ou peut-être SLA. Je ne sais pas, mais il serait intéressant de faire l'exercice.

Cela me fait également sourire, puisque cette semaine je voyais avec mes élèves de sciences humaines la notion de cote Z, donc évidemment j'aurais été bête de passer à côté de la fameuse cote R. Difficile de ne pas faire de montée de lait sur ces sujets. Cela surprend les étudiants qu'un prof s'insurge contre les moyennes et les classements. Le punk de la classe a osé m'interrompre : "Madame, c'est quoi l'effet Pygmalion ?"

Dommage que ce cours de statistique ne soit pas obligatoire au sommet de la pyramide (ou qu'il leur soit donné dans toute sa rigueur mathématique, mais dénué de sens critique).

Claudec a dit…

Démographie et abominable pyramide sociale
La misère n'est pas, comme la pauvreté, un état relatif trop souvent confondue avec l'inconfort. Bien que privé du progrès, tel qu'il est permis d'y accéder normalement au plus grand nombre des citoyens des États dits avancés, qu'a en effet de commun le pauvre à Paris ou au fin fond de la banlieue la plus déshéritée de n'importe quelle grande cité occidentale, avec l'habitant du Sahel ou d'un miséreux sur son tas de détritus dans les faubourgs du Caire ?
S'il est possible de relativiser la pauvreté au point de l'assortir d'indices et autres outils d'évaluation statistique, il n'en est pas de même pour cette sous-pauvreté qu'est la misère, qui règne la où la question du chômage ne se pose même pas, faute d'activités industrielles ou autres. Aurait-elle d'autres causes qu'économiques ? l'absence du minimum de ressources qu'elle traduit ne résulterait-elle pas plus simplement d'une croissance démographique "sauvage" ?
Pour comprendre, plutôt que de considérer de banales courbes et tableaux de chiffres, il est proposé ici de méditer sur la pyramide, cette structure que les anciens, qui étaient peut-être meilleurs observateurs que nous, ont pu déjà considérer comme représentative de tous types d'organisation hiérarchisés. Appliquons-en la structure et le volume, avec sa base et son sommet, à l'ensemble des hommes peuplant la planète. Une telle pyramide sociale (ou des richesses matérielles puisque là est désormais l'aune à laquelle se mesure le bonheur des hommes) avec l'opulence à son sommet et la misère à sa base, met bien en évidence que l'existence de cette dernière est directement liée à la démographie.
Dès lors que cette pyramide croît en volume, ce qui est le cas du simple fait de l'augmentation constante de la population, sa base se développe toujours davantage que son sommet, alors que se livre à tous ses niveaux une lutte ininterrompue pour la conquête des richesses et leur illusoire partage. Il s'agit pour chacun de se hisser à un étage supérieur à celui qu'il occupe, en dépit du poids qui l'écrase. À noter au passage le confort bien relatif de ceux qui occupent une situation médiane, comprimés entre la poussée venant du bas et le poids qui les domine.
Parfois, une secousse est provoquée par une base insurgée ; c'est la révolution. Celle-ci peut entraîner quelques changements pour les mieux nantis aussi bien que des bouleversements profonds, mais la structure de l'ensemble reste immuable, avec les plus riches (ou les plus puissants, ce qui revient au même) au sommet et les autres s'entassant, toujours plus nombreux, à la base. Ainsi, en 2011, sur 7 milliards d'êtres humains, cette base en compte 3 qui vivent avec moins de deux dollars par jour – l'un d'entre eux mourant de faim toutes les 3 secondes –, alors qu'au sommet logent les 500 personnes les plus riches du monde. Et chaque jour voit croître la population mondiale de plus de 220 000 individus, chacun allant sagement se ranger à la place que lui assigne le sort dans une pyramide qui s'atrophie d'autant. Hormis les arguments sans plus de fins que d'efficacité de ceux qui promettent aussi bien le prochain arrêt de la progression qu'une explosion, le constat est ce qu'il est, et puisqu'il nous semble interdit d'envisager une autre structure que pyramidale, des questions se posent, appelant des réponses chaque jour plus urgentes :

(à suivre)

Claudec a dit…

(suit et fin)
- Jusqu'où irons-nous ?
- Par quels moyens le cours des choses est-il susceptible de changer :
- Par la révolution ? C'est peu vraisemblable. Quelles que soient leurs raisons, leur ampleur et leur violence, les révolutions n'ont jamais rien changé à la structure pyramidale de la société, en dépit de ceux qui s'obstinent à nier à la pyramide son caractère représentatif du monde dans lequel nous vivons ; refusent d'en reconnaître le caractère incontournable, ou veulent la contraindre à une platitude aussi égalitaire qu'utopique, quand ils ne prétendent pas la faire reposer sur sa pointe.
- Par la fraternité ? Il suffit d'en considérer les acquis au cours de l'histoire et spécialement durant le siècle écoulé, pour se faire une idée de ce qu'il y a lieu d'en attendre.
- Par le progrès scientifique et technique ? Il n'est qu'un outil aux mains des hommes, qui en font ce qui motive l'observation du point précédent.
Y-a-t-il des solutions et quelles pourraient-elles être ?
L'individu étant condamné à la simple prise de conscience et au mieux à des vœux ou à des gestes sans portée réformatrice, c'est aux politiques, dont le rôle est de prévoir, de s'en préoccuper. Après avoir pris eux-mêmes pleinement conscience d'une situation aux conséquences aussi désastreuses que prévisibles, il est de leur responsabilité d'identifier les vrais problèmes et de leur affecter un ordre de priorité. Or qui s'en soucie au-delà du constat ?
Pourtant, si rien n'est fait pour ramener la population du globe à un niveau maîtrisable, dans les meilleurs délais et conditions possibles, l'humanité ne fera qu'accroître ses maux jusqu'au pire. Prendre conscience d'une évidence criante, le plus largement et la plus rapidement possible ne peut plus suffire. Le pragmatisme dicte de procéder à un investissement massif en vue de réguler le niveau de la population mondiale sans plus s'en remettre hypocritement à la providence davantage qu'aux saignées opérées ici et là par les guerres, les famines et la maladie, et sans s'arrêter aux considérations d'ordre idéologique, religieux, etc. qui ne manqueront pas d'y faire obstacle.
Alors que chaque pays en est encore à débattre de son cas, le problème de la pauvreté est mondial et rien d'utile ne pourra se faire autrement qu'à cette échelle et par la démographie. Alfred Sauvy écrivait, il y a plus de 50 ans (De Maltus à Mao Tsé-Toung - Denoël 1958) :« À l'échelle internationale, les sentiments de pitié ou de solidarité humaine s'exercent plus facilement à l'égard de la maladie (ou, à la rigueur, de la famine extrême) qu'à l'égard de la pauvreté. Des secours extérieurs sont accordés pour guérir les hommes ou tout au moins pour les empêcher de mourir, mais non pour leur permettre de vivre. ». Le moment n'est-il pas venu d'ajouter "... ou les empêcher de naître en surnombre".