avant même qu'elle ne puisse se construire.
Il se profile, dans la conjugaison de la hausse des frais de scolarité et la loi C10 récemment adoptée, une convergence vers la répression de la jeunesse issue des classes ouvrières. La première mesure limite les possibilités qu’auront ces jeunes à accéder à l’éducation post-secondaire et à développer les outils d’analyse critique précurseurs d’une citoyenneté engagée et militante. La jeunesse éduquée fait peur, puisqu’elle menace l’élite bourgeoise au pouvoir. La seconde mesure assure d’une part l’hégémonie de la perception d’une menace «jeune» et «pauvre» et d’autre part les moyens coercitifs permettant de museler tout discours de contestation, qu’il prenne la forme de manifestations, de graffitis, de rejet de normes sociales arbitraires, etc. Cette attaque a comme cible une population déjà tellement marginalisée qu’au débat public, elle n’a pas voix.
«La lente poussée sécuritaire du moment assoit son principe répressif sur une apparente atonie des citoyens, alors que ses instigateurs prétendent que les acteurs de la contestation ne porteraient pas de discours politique, justifiant ainsi leur marginalisation au sein du jeu de la représentation démocratique. Banlieusards, étrangers et sans papiers, lycéens, femmes révoltées, ouvriers en grève, petits paysans, se voient traités comme des objets apolitiques, car dénués d’une représentation reconnue comme étant légitime du point de vue de l’État républicain. La conséquence logique est leur criminalisation, leur mise au ban de la loi. L’absence d’une prise de parole de ces acteurs qui serait conforme aux codes de l’espace public bourgeois autorise ceux qui en contrôlent l’accès à proclamer l’inexistence d’une quelconque parole autonome de ces sujets-objets.» Alex Neumann (2006). Pour une écoute sociologique : Répression, inhibition, prise de parole. Variations (Théorie critique)
Les étudiants qui manifestent actuellement sont invités à rester polis, calmes, atones. Tout écart est violemment réprimé et traité dans les médias bourgeois comme un geste de désolidarisation par les étudiants face à la «population québécoise». Ce faisant, cette même population appuie la désappropiation de l'espace public. Seule la contestation qui ne gêne pas sera tolérée.
«Pour justifier la répression annoncée contre les jeunes marginalisés, on parle […] comme si le jeunes dans les rues faisaient partie de gangs violents. C’est la voix du conservatisme autoritaire : sentimental et stricte, nostalgique et répressif.. De braves citoyens accablés par un fardeau fiscal [l’éducation] harcelés de jeunes voyous. André Gorz décrit cette perception comme faisant partie, dans tout le pays, d’une rébellion particulière d’une société devenue étrangère à elle-même : «[…] la réaction agressive de ceux qui aimeraient retrouver la sécurité d’une société prémoderne, stable, hiérarchisée et fortement intégratrice». Cependant aussi inquiétante que les politiques elles-mêmes, il y a la formulation qu’on leur donne : une narration sentimentale et cruelle qui sonne faux aussi bien dans sa glorification du [prétendu citoyen modèle] que dans sa démonisation des jeunes marginaux. On peut voir une tendance malsaine à épouser les fantasmes réactionnaires de la droite. Georges Orwell les aurait rapidement relevés.» Graham Fraser, Le Devoir, 28 octobre 1999.
Voilà le début d'un proto-fascisme dont la cible particulière sera ceux qui dérangent déjà par leur existence: les opprimés, marginalisés, jeunes. La population québécoise, ayant donné son consentement tacite à la répression (par son silence) devient de facto geôlière de la jeunesse et de la possibilité de justice sociale.
mercredi 14 mars 2012
lundi 12 mars 2012
Aux étudiants qui dans la rue demandent justice ...
Vous n’êtes pas dans la rue que pour vous. Les violences, le harcèlement, les insultes, l’intimidation, le ton paternaliste d’un trop grand nombre de journalistes, vous les subissez pour d’autres aussi. Cela peut vous sembler étrange, mais vous portez dans chaque poing levé, dans chaque pas de marche pacifiste mais déterminée, dans chaque refus de reculer, le désir profond d’une société meilleure de tous ceux et celles qui n’ont pas le courage, la volonté, l’énergie ou l’optimisme de se lever avec vous. Et par chaque geste de rébellion que vous posez, vous portez des milliers de petites rébellions quotidiennes et vous effacez peu à peu le cynisme qui engourdit ceux qui vous précèdent.
Et ils commencent à croire que c’est possible, que c’est juste et qu’il est temps.
Et plus votre détermination est forte, plus vous répétez que la justice sociale et le bien commun ne sont pas matières à compromis, plus ils ont envie de marcher avec vous. Plus ils ont envie de dire «assez» à ceux qui leur enlèvent la possibilité de rêver à mieux. À ceux qui pillent leurs ressources, détournent leurs aspirations, leur vote, leur voix.
Et le contraste est frappant. Vous, éthiques, solidaires, justes, soucieux des luttes qui vous ont permis de mener celle-ci, conscients du fait que votre cause est plus grande que les frais de scolarité et qu’elle doit viser les origines de l’injustice au sens large. Eux, vendus, cyniques, égoïstes et myopes. Vous, grands et en puissance. Eux, petits et honteux.
Qui voudrait se ranger derrière eux plutôt que vous ?
Mais n'oubliez pas qu'avant vous, et en parallèle à vous, des gens d'un courage sans limites militent depuis des lunes. Ils militent pour la justice sociale aussi et contre le même oppresseur. Ils ont depuis longtemps identifié les origines de l'injustice qui ronge la dignité humaine - la pauvreté, l'exploitation, l'oppression, la discrimination. Ils luttent souvent peu nombreux, mais toujours dans l'urgence.
Rangez-vous à leur côté. Pas le temps d'une grève étudiante, mais le temps d'une vie militante.
Et ils commencent à croire que c’est possible, que c’est juste et qu’il est temps.
Et plus votre détermination est forte, plus vous répétez que la justice sociale et le bien commun ne sont pas matières à compromis, plus ils ont envie de marcher avec vous. Plus ils ont envie de dire «assez» à ceux qui leur enlèvent la possibilité de rêver à mieux. À ceux qui pillent leurs ressources, détournent leurs aspirations, leur vote, leur voix.
Et le contraste est frappant. Vous, éthiques, solidaires, justes, soucieux des luttes qui vous ont permis de mener celle-ci, conscients du fait que votre cause est plus grande que les frais de scolarité et qu’elle doit viser les origines de l’injustice au sens large. Eux, vendus, cyniques, égoïstes et myopes. Vous, grands et en puissance. Eux, petits et honteux.
Qui voudrait se ranger derrière eux plutôt que vous ?
Mais n'oubliez pas qu'avant vous, et en parallèle à vous, des gens d'un courage sans limites militent depuis des lunes. Ils militent pour la justice sociale aussi et contre le même oppresseur. Ils ont depuis longtemps identifié les origines de l'injustice qui ronge la dignité humaine - la pauvreté, l'exploitation, l'oppression, la discrimination. Ils luttent souvent peu nombreux, mais toujours dans l'urgence.
Rangez-vous à leur côté. Pas le temps d'une grève étudiante, mais le temps d'une vie militante.
dimanche 11 mars 2012
De la désobéissance civile
Un brin de Thoreau, pour le SPVM et ceux qui goutent à leurs matraques
«Après tout, la raison pratique pour laquelle, le pouvoir une fois aux mains du peuple, on permet à une majorité de régner continûment sur une longue période ne tient pas tant aux chances qu’elle a d’être dans le vrai, ni à l’apparence de justice offerte à la minorité, qu’à la prééminence de sa force physique. Or un gouvernement, où la majorité règne dans tous les cas, ne peut être fondé sur la justice, même telle que les hommes l’entendent. Ne peut-il exister de gouvernement où ce ne seraient pas les majorités qui trancheraient du bien ou du mal, mais la conscience? où les majorités ne trancheraient que des questions justiciables de la règle d’opportunité? Le citoyen doit-il jamais un instant abdiquer sa conscience au législateur? A quoi bon la conscience individuelle alors?
Je crois que nous devrions être hommes d’abord et sujets ensuite. Il n’est pas souhaitable de cultiver le même respect pour la loi et pour le bien. La seule obligation qui m’incombe est de faire bien. On a dit assez justement qu’un groupement d’hommes n’a pas de conscience, mais un groupement d’hommes consciencieux devient un groupement doué de conscience.La loi n’a jamais rendu les hommes un brin plus justes, et par l’effet du respect qu’ils lui témoignent les gens les mieux intentionnés se font chaque jour les commis de l’injustice. Le résultat courant et naturel d’un respect indu pour la loi, c’est qu’on peut voir une file de militaires, colonel, capitaine, caporal et simples soldats, enfants de troupe et toute la clique, marchant au combat par monts et par vaux dans un ordre admirable contre leur gré, que dis-je? contre leur bon sens et contre leur conscience, ce qui rend cette marche fort âpre en vérité et éprouvante pour le coeur. Ils n’en doutent pas le moins du monde : c’est une vilaine affaire que celle où ils sont engagés. Ils ont tous des dispositions pacifiques. Or, que sont-ils? Des hommes vraiment?, ou bien des petits fortins, des magasins ambulants au service d’un personnage sans scrupules qui détient le pouvoir?
La masse des hommes sert ainsi l’État, non point en humains, mais en machines avec leur corps. C’est eux l’armée permanente, et la milice, les geôliers, les gendarmes, la force publique, etc. La plupart du temps sans exercer du tout leur libre jugement ou leur sens moral ; au contraire, il se ravalent au niveau du bois, de la terre et des pierres et on doit pouvoir fabriquer de ces automates qui rendront le même service. Ceux-là ne commandent pas plus le respect qu’un bonhomme de paille ou une motte de terre. Ils ont la même valeur marchande que des chevaux et des chiens. Et pourtant on les tient généralement pour de bons citoyens.»
«Après tout, la raison pratique pour laquelle, le pouvoir une fois aux mains du peuple, on permet à une majorité de régner continûment sur une longue période ne tient pas tant aux chances qu’elle a d’être dans le vrai, ni à l’apparence de justice offerte à la minorité, qu’à la prééminence de sa force physique. Or un gouvernement, où la majorité règne dans tous les cas, ne peut être fondé sur la justice, même telle que les hommes l’entendent. Ne peut-il exister de gouvernement où ce ne seraient pas les majorités qui trancheraient du bien ou du mal, mais la conscience? où les majorités ne trancheraient que des questions justiciables de la règle d’opportunité? Le citoyen doit-il jamais un instant abdiquer sa conscience au législateur? A quoi bon la conscience individuelle alors?
Je crois que nous devrions être hommes d’abord et sujets ensuite. Il n’est pas souhaitable de cultiver le même respect pour la loi et pour le bien. La seule obligation qui m’incombe est de faire bien. On a dit assez justement qu’un groupement d’hommes n’a pas de conscience, mais un groupement d’hommes consciencieux devient un groupement doué de conscience.La loi n’a jamais rendu les hommes un brin plus justes, et par l’effet du respect qu’ils lui témoignent les gens les mieux intentionnés se font chaque jour les commis de l’injustice. Le résultat courant et naturel d’un respect indu pour la loi, c’est qu’on peut voir une file de militaires, colonel, capitaine, caporal et simples soldats, enfants de troupe et toute la clique, marchant au combat par monts et par vaux dans un ordre admirable contre leur gré, que dis-je? contre leur bon sens et contre leur conscience, ce qui rend cette marche fort âpre en vérité et éprouvante pour le coeur. Ils n’en doutent pas le moins du monde : c’est une vilaine affaire que celle où ils sont engagés. Ils ont tous des dispositions pacifiques. Or, que sont-ils? Des hommes vraiment?, ou bien des petits fortins, des magasins ambulants au service d’un personnage sans scrupules qui détient le pouvoir?
La masse des hommes sert ainsi l’État, non point en humains, mais en machines avec leur corps. C’est eux l’armée permanente, et la milice, les geôliers, les gendarmes, la force publique, etc. La plupart du temps sans exercer du tout leur libre jugement ou leur sens moral ; au contraire, il se ravalent au niveau du bois, de la terre et des pierres et on doit pouvoir fabriquer de ces automates qui rendront le même service. Ceux-là ne commandent pas plus le respect qu’un bonhomme de paille ou une motte de terre. Ils ont la même valeur marchande que des chevaux et des chiens. Et pourtant on les tient généralement pour de bons citoyens.»
samedi 10 mars 2012
Qui a peur des étudiants
M. Charest, j’étais avec mes étudiants au Palais des Congrès de Gatineau le 8 mars 2012 alors que vous y vendiez votre Plan Nord. Nous avons demandé à vous rencontrer à plusieurs reprises, vous ne vous êtes jamais présenté.
Nous avons «envahi» l’édifice dans lequel vous vous trouviez, mais n’avons vu personne qui avait peur. Au contraire, nous avons vu des travailleuses et travailleurs nous applaudir, nous encourager, certains sont venus nous serrer la main. Les étudiants ne font pas peur aux Québécois, M. Charest.
Les Québécois ont plutôt peur de ce que font leurs dirigeants et leur bras armé.
Ils ont peur de voir leurs enfants matraqués et gazés dans les rues. Ils ont peur de voir leurs ressources collectives vendues aux plus offrants. Ils ont peur des reculs sociaux et culturels provoqués par les politiques de votre gouvernement. Ils ont peur de la concentration du pouvoir aux mains d’une élite corrompue et dont les intérêts n’engendrent qu’oppression et misère.
J’ai peur, pour ma part, quand vous envoyez vos acolytes dans les universités pour subordonner le financement de la recherche aux intérêts de cette élite corrompue. Quand vous exigez des scientifiques qu’ils légitiment vos politiques dévastatrices pour les Québécois et l’environnement. J’ai peur de vos ministres misogynes (comme M. MacMillan), de votre refus d’écouter les experts (comme le Conseil supérieur de l’éducation), de votre complicité avec l’entreprise privée, aux dépens de l’intérêt collectif et du bien commun. J’ai peur de vous voir écraser la dissension.
Mais je n’aurai pas peur longtemps.
Parce que la nation québécoise s’est toujours définie par ses luttes. Ses luttes pour sa survie culturelle, certes, mais aussi pour les principes démocratiques inspirés par les Lumières, pour la démocratisation des institutions publiques, pour la justice sociale, contre l’oppression des travailleurs, contre l’oppression par l’Église, pour les droits des femmes, contre l’impérialisme économique et le colonialisme sous toutes ses formes. C’est un héritage porté au quotidien par les travailleuses et les travailleurs québécois et aujourd’hui, par les étudiantes et étudiants qui mettent leur sécurité physique en danger pour défendre le droit à l’éducation, ce précurseur de l’exercice de tous les droits.
Et ils n’ont pas peur de vous.
Parce que leur cause est juste, leur comportement éthique, leurs demandes formulées pour le bien commun. Ils font leur juste part et plus. Ils luttent pour les générations futures. Ils seront les infirmières qui nous soigneront, les enseignants qui formeront les citoyens de demain, les scientifiques et ingénieurs qui trouveront les solutions aux problèmes que nous affronterons, les artistes qui dynamiseront la culture. Ils se tiennent devant vous, bien que vous soyez caché derrière les hommes d’affaires, les policiers, des «porte-parole» et autres. Ils vous attendent.
Qui a peur des étudiants ?
Nous avons «envahi» l’édifice dans lequel vous vous trouviez, mais n’avons vu personne qui avait peur. Au contraire, nous avons vu des travailleuses et travailleurs nous applaudir, nous encourager, certains sont venus nous serrer la main. Les étudiants ne font pas peur aux Québécois, M. Charest.
Les Québécois ont plutôt peur de ce que font leurs dirigeants et leur bras armé.
Ils ont peur de voir leurs enfants matraqués et gazés dans les rues. Ils ont peur de voir leurs ressources collectives vendues aux plus offrants. Ils ont peur des reculs sociaux et culturels provoqués par les politiques de votre gouvernement. Ils ont peur de la concentration du pouvoir aux mains d’une élite corrompue et dont les intérêts n’engendrent qu’oppression et misère.
J’ai peur, pour ma part, quand vous envoyez vos acolytes dans les universités pour subordonner le financement de la recherche aux intérêts de cette élite corrompue. Quand vous exigez des scientifiques qu’ils légitiment vos politiques dévastatrices pour les Québécois et l’environnement. J’ai peur de vos ministres misogynes (comme M. MacMillan), de votre refus d’écouter les experts (comme le Conseil supérieur de l’éducation), de votre complicité avec l’entreprise privée, aux dépens de l’intérêt collectif et du bien commun. J’ai peur de vous voir écraser la dissension.
Mais je n’aurai pas peur longtemps.
Parce que la nation québécoise s’est toujours définie par ses luttes. Ses luttes pour sa survie culturelle, certes, mais aussi pour les principes démocratiques inspirés par les Lumières, pour la démocratisation des institutions publiques, pour la justice sociale, contre l’oppression des travailleurs, contre l’oppression par l’Église, pour les droits des femmes, contre l’impérialisme économique et le colonialisme sous toutes ses formes. C’est un héritage porté au quotidien par les travailleuses et les travailleurs québécois et aujourd’hui, par les étudiantes et étudiants qui mettent leur sécurité physique en danger pour défendre le droit à l’éducation, ce précurseur de l’exercice de tous les droits.
Et ils n’ont pas peur de vous.
Parce que leur cause est juste, leur comportement éthique, leurs demandes formulées pour le bien commun. Ils font leur juste part et plus. Ils luttent pour les générations futures. Ils seront les infirmières qui nous soigneront, les enseignants qui formeront les citoyens de demain, les scientifiques et ingénieurs qui trouveront les solutions aux problèmes que nous affronterons, les artistes qui dynamiseront la culture. Ils se tiennent devant vous, bien que vous soyez caché derrière les hommes d’affaires, les policiers, des «porte-parole» et autres. Ils vous attendent.
Qui a peur des étudiants ?
mardi 6 mars 2012
Qu'avons-nous fait de l'enfance ?
Nous l'avons asservie à l'adulte, au marché, à la conformité, à la reproduction sociale. Nous avons nui à son épanouissement, nous avons érigé des obstacles à l'apprentissage. C'est Ferrière qui le dit le mieux:
«Et sur les indications du diable, on créa l'école.
L'enfant aime la nature : on le parqua dans des salles closes.
L'enfant aime voir son activité servir à quelque chose : on fit en sorte qu'elle n'eût aucun but.
Il aime bouger : on l'obligea à se tenir immobile.
Il aime manier les objets : on le mit en contact avec les idées.
Il aime se servir de ses mains : on ne mit en jeu que son cerveau.
Il aime parler, on le contraignit au silence.
Il voudrait raisonner : on le fit mémoriser.
Il voudrait chercher la science : on la lui servit toute faite.
Il voudrait s'enthousiasmer : on inventa les punitions.»
Ferrière - Congrès de Calais, 1921
Repris par Philippe Meirieu et Luc Cédelle in Un pédagogue dans la cité Philippe Meirieu Conversation avec Luc Cédelle, Ed Desclée de Brouwer, Paris 2012 Page 70
«Et sur les indications du diable, on créa l'école.
L'enfant aime la nature : on le parqua dans des salles closes.
L'enfant aime voir son activité servir à quelque chose : on fit en sorte qu'elle n'eût aucun but.
Il aime bouger : on l'obligea à se tenir immobile.
Il aime manier les objets : on le mit en contact avec les idées.
Il aime se servir de ses mains : on ne mit en jeu que son cerveau.
Il aime parler, on le contraignit au silence.
Il voudrait raisonner : on le fit mémoriser.
Il voudrait chercher la science : on la lui servit toute faite.
Il voudrait s'enthousiasmer : on inventa les punitions.»
Ferrière - Congrès de Calais, 1921
Repris par Philippe Meirieu et Luc Cédelle in Un pédagogue dans la cité Philippe Meirieu Conversation avec Luc Cédelle, Ed Desclée de Brouwer, Paris 2012 Page 70
samedi 3 mars 2012
Non à l'anglais intensif
Anglais intensif : oui à la mobilisation citoyenne lancée par le Collectif des parents du Bic et de Rimouski
Nous souhaitons, à titre de spécialistes de l’éducation, répondre à l’appel à la mobilisation lancé par le Collectif des parents du Bic et de Rimouski, paru le 13 février dans les pages du Devoir. Non seulement appuyons-nous la justesse de leur diagnostic des finalités non-éducatives sous-entendues par la mise en place d’une demi-année d’anglais intensif à la fin du primaire, mais nous croyons impératif de souligner que les diverses sciences constitutives de l’éducation soutiennent cette analyse.
Finalités non-éducatives
La Coalition des parents du Bic et de Rimouski a éloquemment rappelé à la ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport le mandat social que doit porter et actualiser l’école québécoise, soit la formation citoyenne. La marchandisation des apprentissages et de l’école dans des visées de nourrir l’économie de marché ne fait pas partie de ce mandat, bien qu’il anime et oriente à tort les décisions de la ministre et de son gouvernement. Rappelons à la ministre que le débat sur la fonction sociale de l’école québécoise a mené à identifier des priorités tout autres que celles qu’elle met actuellement de l’avant avec l’annonce du programme d’anglais intensif en sixième année. Notons que l’école doit accompagner l’élève dans la construction de sa vision du monde, la structuration de son identité et le développement de son pouvoir d’action, des finalités éducatives enchâssées dans le Programme de formation de l’école québécoise. Tel que l’ont démontré entre autres les sociolinguistes et les sociologues, l’atteinte de ces finalités passe nécessairement par le développement d’une identité sociale construite par et avec le langage.
L’identité sociale
Plusieurs recherches menées dans les domaines de la sociolinguistique et de la psychologie sociale font état de l’effet de l’apprentissage d’une langue seconde dont le statut social serait perçu comme plus important ou désirable que la langue maternelle sur la construction de l’identité sociale. La valorisation de l’anglais comme moteur d’ascension sociale qui définit le discours actuel du gouvernement Charest s’inscrirait dans une logique du pouvoir symbolique de l’anglais sur la distribution des ressources matérielles. La promotion de l’anglais comme outil de pouvoir économique (socialement et historiquement construit) aurait ainsi un effet négatif sur la valeur et la signification émotive attachées à la culture d’appartenance et à sa langue, ainsi que sur l’engagement des membres de la société envers celle-ci. Par conséquent, le sens attribué par le gouvernement à la maitrise de la langue anglaise serait contraire aux finalités éducatives et nuirait à leur atteinte.
Notons que nous sommes favorables à l’acquisition par les élèves québécois d’une langue seconde, non pas dans une logique marchande où la maitrise de l’anglais porte une valeur d’échange (pour un pouvoir socioéconomique supposément accru), mais dans une perspective développementale et sociale, où la maitrise d’une langue seconde, quelle qu’elle soit, a une valeur d’usage, c’est-à-dire qu’elle permet à l’élève de répondre à des besoins singuliers (socioaffectifs, cognitifs) et collectifs (agentivité citoyenne, justice sociale) et d’atteindre les finalités éducatives normatives.
Grands absents du débat : le développement socioaffectif des enfants…
La grande majorité des études scientifiques démontre que la période entre 11 et 13-14 ans est charnière sur le plan du développement socioaffectif, particulièrement en ce qui concerne la construction de l’identité et de l’estime de soi.
À la veille du passage au secondaire, où les enfants affrontent les enjeux liés à la complexité de la construction identitaire : définition de soi, transformation des relations entre pairs, redéfinition de la relation parents-enfant, établissement des frontières de son identité sexuelle et, bien entendu, définition de son identité culturelle, la proposition ministérielle ajoute un défi de taille à une situation développementale déjà exigeante. À la question du «qui suis-je ?», les enfants seraient de plus confrontés à une ambiguïté identitaire soulevée à juste titre par le Collectif des parents.
Par ailleurs, ce moment dans la vie des enfants est, selon les recherches menées à ce sujet, un moment de grandes fluctuations dans le niveau d’estime de soi. Entre autres, les enfants connaissent à cet âge une baisse significative de leur estime de soi, en plus de devoir relever tous les défis associés aux changements psychobiologiques. Les chercheurs parlent d’une période sensible particulière du développement, où la vulnérabilité aux contraintes de l’environnement est accrue. Ces constats s’appliquent à tous les enfants, que ces derniers éprouvent des difficultés d’adaptation scolaire ou non. Face à de telles données, comment la ministre Beauchamp peut-elle proposer de placer les enfants québécois dans une situation qui menace leur intégrité psychosociale ?
… et le développement cognitif
On nous permettra de douter des assises empiriques de la mesure proposée. Les recherches n’appuient ni le moment choisi pour sa mise en œuvre, ni le contexte de son application. Bien que la thèse de l’existence d’une période critique pour l’acquisition d’une langue seconde demeure l’objet d’une certaine controverse, l’importance des données empiriques récentes appuyant cette thèse nous portent à souhaiter une plus grande prudence face au choix du moment de mise en œuvre d’un programme d’anglais intensif. Si l’on conjugue les doutes importants que soulèvent les recherches au fait que par ses propres prescriptions, le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport a fait de la sixième année une année de consolidation des apprentissages essentielle au passage au secondaire, force est de constater que le choix de ce niveau scolaire est plus que questionnable. Soumis à une batterie d’évaluations sommatives et au stress que représente leur réussite, les élèves seraient de plus obligés de condenser cette période déterminante pour leur avenir en cinq mois. Plusieurs enseignants de français au secondaire ont de plus souligné que les compétences langagières des élèves qui entament leur première secondaire ne les préparent pas adéquatement aux défis des apprentissages au secondaire. En quoi fragiliser davantage la consolidation de ces compétences en français peut-il être favorable à la réussite scolaire ?
Enfin, nous ne saurions passer sous silence les effets globalement aliénants des prescriptions ministérielles improvisées et sans appuis scientifiques pour les enseignantes et enseignants du réseau scolaire. La multiplication de ces dernières (TBI dans toutes les classes, stratégie nationale contre l’intimidation, etc.), et l’opacité de leurs fondements augmentent considérablement l’écart entre le sens que les enseignants souhaitent donner à leur travail et celui imposé par le ministère. Nous invitons ainsi la ministre à reconsidérer le bien-fondé d’un programme d’anglais intensif en sixième année.
Stéphanie Demers et Francine Sinclair, professeures, Département des sciences de l’éducation, Université du Québec en Outaouais
Nous souhaitons, à titre de spécialistes de l’éducation, répondre à l’appel à la mobilisation lancé par le Collectif des parents du Bic et de Rimouski, paru le 13 février dans les pages du Devoir. Non seulement appuyons-nous la justesse de leur diagnostic des finalités non-éducatives sous-entendues par la mise en place d’une demi-année d’anglais intensif à la fin du primaire, mais nous croyons impératif de souligner que les diverses sciences constitutives de l’éducation soutiennent cette analyse.
Finalités non-éducatives
La Coalition des parents du Bic et de Rimouski a éloquemment rappelé à la ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport le mandat social que doit porter et actualiser l’école québécoise, soit la formation citoyenne. La marchandisation des apprentissages et de l’école dans des visées de nourrir l’économie de marché ne fait pas partie de ce mandat, bien qu’il anime et oriente à tort les décisions de la ministre et de son gouvernement. Rappelons à la ministre que le débat sur la fonction sociale de l’école québécoise a mené à identifier des priorités tout autres que celles qu’elle met actuellement de l’avant avec l’annonce du programme d’anglais intensif en sixième année. Notons que l’école doit accompagner l’élève dans la construction de sa vision du monde, la structuration de son identité et le développement de son pouvoir d’action, des finalités éducatives enchâssées dans le Programme de formation de l’école québécoise. Tel que l’ont démontré entre autres les sociolinguistes et les sociologues, l’atteinte de ces finalités passe nécessairement par le développement d’une identité sociale construite par et avec le langage.
L’identité sociale
Plusieurs recherches menées dans les domaines de la sociolinguistique et de la psychologie sociale font état de l’effet de l’apprentissage d’une langue seconde dont le statut social serait perçu comme plus important ou désirable que la langue maternelle sur la construction de l’identité sociale. La valorisation de l’anglais comme moteur d’ascension sociale qui définit le discours actuel du gouvernement Charest s’inscrirait dans une logique du pouvoir symbolique de l’anglais sur la distribution des ressources matérielles. La promotion de l’anglais comme outil de pouvoir économique (socialement et historiquement construit) aurait ainsi un effet négatif sur la valeur et la signification émotive attachées à la culture d’appartenance et à sa langue, ainsi que sur l’engagement des membres de la société envers celle-ci. Par conséquent, le sens attribué par le gouvernement à la maitrise de la langue anglaise serait contraire aux finalités éducatives et nuirait à leur atteinte.
Notons que nous sommes favorables à l’acquisition par les élèves québécois d’une langue seconde, non pas dans une logique marchande où la maitrise de l’anglais porte une valeur d’échange (pour un pouvoir socioéconomique supposément accru), mais dans une perspective développementale et sociale, où la maitrise d’une langue seconde, quelle qu’elle soit, a une valeur d’usage, c’est-à-dire qu’elle permet à l’élève de répondre à des besoins singuliers (socioaffectifs, cognitifs) et collectifs (agentivité citoyenne, justice sociale) et d’atteindre les finalités éducatives normatives.
Grands absents du débat : le développement socioaffectif des enfants…
La grande majorité des études scientifiques démontre que la période entre 11 et 13-14 ans est charnière sur le plan du développement socioaffectif, particulièrement en ce qui concerne la construction de l’identité et de l’estime de soi.
À la veille du passage au secondaire, où les enfants affrontent les enjeux liés à la complexité de la construction identitaire : définition de soi, transformation des relations entre pairs, redéfinition de la relation parents-enfant, établissement des frontières de son identité sexuelle et, bien entendu, définition de son identité culturelle, la proposition ministérielle ajoute un défi de taille à une situation développementale déjà exigeante. À la question du «qui suis-je ?», les enfants seraient de plus confrontés à une ambiguïté identitaire soulevée à juste titre par le Collectif des parents.
Par ailleurs, ce moment dans la vie des enfants est, selon les recherches menées à ce sujet, un moment de grandes fluctuations dans le niveau d’estime de soi. Entre autres, les enfants connaissent à cet âge une baisse significative de leur estime de soi, en plus de devoir relever tous les défis associés aux changements psychobiologiques. Les chercheurs parlent d’une période sensible particulière du développement, où la vulnérabilité aux contraintes de l’environnement est accrue. Ces constats s’appliquent à tous les enfants, que ces derniers éprouvent des difficultés d’adaptation scolaire ou non. Face à de telles données, comment la ministre Beauchamp peut-elle proposer de placer les enfants québécois dans une situation qui menace leur intégrité psychosociale ?
… et le développement cognitif
On nous permettra de douter des assises empiriques de la mesure proposée. Les recherches n’appuient ni le moment choisi pour sa mise en œuvre, ni le contexte de son application. Bien que la thèse de l’existence d’une période critique pour l’acquisition d’une langue seconde demeure l’objet d’une certaine controverse, l’importance des données empiriques récentes appuyant cette thèse nous portent à souhaiter une plus grande prudence face au choix du moment de mise en œuvre d’un programme d’anglais intensif. Si l’on conjugue les doutes importants que soulèvent les recherches au fait que par ses propres prescriptions, le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport a fait de la sixième année une année de consolidation des apprentissages essentielle au passage au secondaire, force est de constater que le choix de ce niveau scolaire est plus que questionnable. Soumis à une batterie d’évaluations sommatives et au stress que représente leur réussite, les élèves seraient de plus obligés de condenser cette période déterminante pour leur avenir en cinq mois. Plusieurs enseignants de français au secondaire ont de plus souligné que les compétences langagières des élèves qui entament leur première secondaire ne les préparent pas adéquatement aux défis des apprentissages au secondaire. En quoi fragiliser davantage la consolidation de ces compétences en français peut-il être favorable à la réussite scolaire ?
Enfin, nous ne saurions passer sous silence les effets globalement aliénants des prescriptions ministérielles improvisées et sans appuis scientifiques pour les enseignantes et enseignants du réseau scolaire. La multiplication de ces dernières (TBI dans toutes les classes, stratégie nationale contre l’intimidation, etc.), et l’opacité de leurs fondements augmentent considérablement l’écart entre le sens que les enseignants souhaitent donner à leur travail et celui imposé par le ministère. Nous invitons ainsi la ministre à reconsidérer le bien-fondé d’un programme d’anglais intensif en sixième année.
Stéphanie Demers et Francine Sinclair, professeures, Département des sciences de l’éducation, Université du Québec en Outaouais
Tous à la défense du droit inaliénable à l'éducation
Publié dans Le Droit ce matin, mais tronqué
L’accès à l’éducation : défendre collectivement un droit inaliénable
L’accès à l’éducation est un droit à tous les ordres d’enseignement, incluant le post-secondaire. Conformément aux principes fondamentaux de justice et d’égalité, ce droit est enchassé dans la Déclaration universelle des droits de l’homme (article 26), le Pacte relatif aux droits sociaux, économiques et culturels (articles 2, 13 et 14), la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (article 1, et 5) et la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination contre les femmes (articles 1 et 10). Le Canada est signataire de toutes ces déclarations et ententes et, par ce fait même, reconnait que «l’accès aux études supérieures doit être ouvert en pleine égalité à tous en fonction de leur mérite» (article 26, Déclaration universelle des droits de l’homme). Il reconnait également «le droit de toute personne à l'éducation» et convient que «l'éducation doit mettre toute personne en mesure de jouer un rôle utile dans une société libre, favoriser la compréhension, la tolérance et l'amitié entre toutes les nations et tous les groupes raciaux, ethniques ou religieux». De plus, pour assurer le plein exercice de sa citoyenneté «l'enseignement supérieur doit être rendu accessible à tous en pleine égalité, en fonction des capacités de chacun, par tous les moyens appropriés et notamment par l'instauration progressive de la gratuité» (article 13, Pacte relatif aux droits sociaux, économiques et culturels). Il appartient donc à l’État de garantir ce droit.
Or, dans le cas de l’enseignement postsecondaire, l’État québécois attaque l’inviolabilité de ce droit. L’ensemble des citoyens doit s’assurer que l’État protège les droits civils, politiques et sociaux. Pourtant, seuls les étudiants sont actuellement mobilisés. Nous considérons que cette situation est inacceptable et que la société entière doit empêcher cette attaque contre le droit à l’éducation en tant qu’enjeu de nature intergénérationnelle. Tous concernés par les décisions gouvernementales, nous nous déresponsabilisons comme société lorsque nous acceptons que ceux qui nous suivent doivent s’endetter pour avoir accès à ce qui leur revient de droit.
Il nous est impensable qu’en 2012 des étudiants québécois aient à se battre pour faire valoir ce droit inaliénable à l’éducation. Il est tout aussi impensable qu’ils soient punis pour avoir assumé seuls une responsabilité qui incombe à nous tous. La liberté d’expression, l’égalité devant la loi et la liberté d’association sont également des droits et nul préjudice ne peut découler de leur exercice.
La marchandisation de l’éducation proposée par le gouvernement Charest, sous prétexte de renflouer les universités, le soustrait de sa responsabilité de financement de la formation postsecondaire affirmée et légiférée depuis le Rapport Parent de 1965 (volume I, chapitre 5). Nous rappelons également que la hausse proposée ne représente que l’équivalent de 1,2% du budget annuel du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, mais qu’elle fermera, selon les données et les conclusions de plusieurs études scientifiques récemment publiées, la porte de l’éducation postsecondaire à des dizaines de milliers de jeunes québécois, ce qui est contraire aux principes des diverses déclarations de droits susmentionnées. Accepterions-nous de devoir payer pour notre liberté d’expression, notre égalité devant la loi, notre droit d’association ?
L'éducation est une responsabilité collective et nous devrions tous, parents, enseignants, formateurs, administrateurs, décideurs, être aux côtés des étudiants et se mobiliser pour protéger ce droit fondamental. Nous appuyons ainsi la lutte des étudiants pour la défense du droit et de l’accès à l’éducation. Nous appuyons également les moyens qu’ils choisissent démocratiquement, au sein de leurs assemblées, pour mener ce combat. Nous reconnaissons la pleine légitimité de ces moyens et appelons la société entière à appuyer, par tous moyens légitimes, les étudiants dans cette lutte universelle à travers l’exercice de la délibération publique et de l’action démocratique. Par principe, un droit ne peut être affaibli et son intégrité attaquée ; sinon, ce n’est plus un droit…
Stéphanie Demers, Judith Émery-Bruneau, Catherine Lanaris, David Lefrançois, Geneviève Lessard et Ruth Philion, Francine Sinclair, Madeleine Doffouchi Tchimou, professeurs, Département des sciences de l’éducation, Université du Québec en Outaouais
L’accès à l’éducation : défendre collectivement un droit inaliénable
L’accès à l’éducation est un droit à tous les ordres d’enseignement, incluant le post-secondaire. Conformément aux principes fondamentaux de justice et d’égalité, ce droit est enchassé dans la Déclaration universelle des droits de l’homme (article 26), le Pacte relatif aux droits sociaux, économiques et culturels (articles 2, 13 et 14), la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (article 1, et 5) et la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination contre les femmes (articles 1 et 10). Le Canada est signataire de toutes ces déclarations et ententes et, par ce fait même, reconnait que «l’accès aux études supérieures doit être ouvert en pleine égalité à tous en fonction de leur mérite» (article 26, Déclaration universelle des droits de l’homme). Il reconnait également «le droit de toute personne à l'éducation» et convient que «l'éducation doit mettre toute personne en mesure de jouer un rôle utile dans une société libre, favoriser la compréhension, la tolérance et l'amitié entre toutes les nations et tous les groupes raciaux, ethniques ou religieux». De plus, pour assurer le plein exercice de sa citoyenneté «l'enseignement supérieur doit être rendu accessible à tous en pleine égalité, en fonction des capacités de chacun, par tous les moyens appropriés et notamment par l'instauration progressive de la gratuité» (article 13, Pacte relatif aux droits sociaux, économiques et culturels). Il appartient donc à l’État de garantir ce droit.
Or, dans le cas de l’enseignement postsecondaire, l’État québécois attaque l’inviolabilité de ce droit. L’ensemble des citoyens doit s’assurer que l’État protège les droits civils, politiques et sociaux. Pourtant, seuls les étudiants sont actuellement mobilisés. Nous considérons que cette situation est inacceptable et que la société entière doit empêcher cette attaque contre le droit à l’éducation en tant qu’enjeu de nature intergénérationnelle. Tous concernés par les décisions gouvernementales, nous nous déresponsabilisons comme société lorsque nous acceptons que ceux qui nous suivent doivent s’endetter pour avoir accès à ce qui leur revient de droit.
Il nous est impensable qu’en 2012 des étudiants québécois aient à se battre pour faire valoir ce droit inaliénable à l’éducation. Il est tout aussi impensable qu’ils soient punis pour avoir assumé seuls une responsabilité qui incombe à nous tous. La liberté d’expression, l’égalité devant la loi et la liberté d’association sont également des droits et nul préjudice ne peut découler de leur exercice.
La marchandisation de l’éducation proposée par le gouvernement Charest, sous prétexte de renflouer les universités, le soustrait de sa responsabilité de financement de la formation postsecondaire affirmée et légiférée depuis le Rapport Parent de 1965 (volume I, chapitre 5). Nous rappelons également que la hausse proposée ne représente que l’équivalent de 1,2% du budget annuel du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, mais qu’elle fermera, selon les données et les conclusions de plusieurs études scientifiques récemment publiées, la porte de l’éducation postsecondaire à des dizaines de milliers de jeunes québécois, ce qui est contraire aux principes des diverses déclarations de droits susmentionnées. Accepterions-nous de devoir payer pour notre liberté d’expression, notre égalité devant la loi, notre droit d’association ?
L'éducation est une responsabilité collective et nous devrions tous, parents, enseignants, formateurs, administrateurs, décideurs, être aux côtés des étudiants et se mobiliser pour protéger ce droit fondamental. Nous appuyons ainsi la lutte des étudiants pour la défense du droit et de l’accès à l’éducation. Nous appuyons également les moyens qu’ils choisissent démocratiquement, au sein de leurs assemblées, pour mener ce combat. Nous reconnaissons la pleine légitimité de ces moyens et appelons la société entière à appuyer, par tous moyens légitimes, les étudiants dans cette lutte universelle à travers l’exercice de la délibération publique et de l’action démocratique. Par principe, un droit ne peut être affaibli et son intégrité attaquée ; sinon, ce n’est plus un droit…
Stéphanie Demers, Judith Émery-Bruneau, Catherine Lanaris, David Lefrançois, Geneviève Lessard et Ruth Philion, Francine Sinclair, Madeleine Doffouchi Tchimou, professeurs, Département des sciences de l’éducation, Université du Québec en Outaouais
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