Elle chante l'espoir...
Les Québécois ont une identité sociale auto-assignée
qui tire en somme ses racines de repères historiques qui ont en commun la
lutte : la lutte contre l’anéantissement du fait canadien-français après
la Conquête, la lutte pour l’émancipation politique inspirée des idées
libérales du XIXe siècle et incarnée par la Rébellion des Patriotes, les luttes
contre la conscription, pour les droits des travailleurs et la lutte sociale
qui caractérise la Révolution tranquille. L’identité sociale québécoise est
donc généralement progressiste. Le
problème réside dans le fait que cette identité est factice depuis plusieurs
décennies déjà. La lutte s’est butée à
l’emprise du marché sur le politique et le citoyen québécois qui émergeait à
peine de sa cruelle servitude s’est vu tassé par les Desmarais, Péladeau, et
autres entrepreneurs. Permutation de la pyramide sociale, en quelque sorte, où
les franco-québécois gravirent les échelons supérieurs… mais pyramide il y a
toujours et le peuple n’a pas changé de place.
Il est encore tout en bas. Nous
avons cru à tort qu’une fois déclenché, l’élan initial permettant de rendre la
société québécoise plus juste persisterait, qu’il serait porté par l’État,
naturellement, vers la finalité souhaitée.
Or, il n’y a de finalité que ce processus qui
caractérise toute quête de justice et qui construit, au fil du temps et selon
les forces des luttes, des mécanismes d’autocorrection mis en abîme – pour la
correction du processus vers le toujours plus juste, et pour la correction des
mécanismes d’autocorrection. Ce n’est pas un projet qui peut être porté par une
classe dirigeante dont le seul intérêt est le maintien de son pouvoir. Et ne nous trompons pas de cible : ce sont
les marionnettistes qu’il faut arrêter.
Sans leurs pantins au pouvoir, ils peineront sans doute temporairement à
garder leur contrôle sur la masse que nous sommes pour eux. Mais ils le
reprendront s’ils ne sont pas détrônés. On
ne peut y arriver qu’en faisant autrement, parce que le système corrompu leur
appartient. Il faut un autre système et par conséquent, élargir et continuer la
lutte pour compléter la Révolution tranquille et la dépasser, passer à mieux, à plus juste.
Ce travail ne se fait pas sans
nous, il ne se fait pas par un parti, un système, une institution. Il requiert une participation
active et exige une conscientisation aux racines de l’injustice et au pouvoir
collectif. Il appelle à la délibération
démocratique, à des modes d’inclusion de ceux qui ont été jusqu’à présent
exclus. Bref, la quête de justice a besoin de nous tous. Il aurait été illusoire de croire
autrement, de penser que la démocratie et la justice ne sollicitaient notre aval qu'aux quatre ans.
Ne m’en voulez pas si j’ai trop longtemps cru
que les pratiques réellement démocratiques et justes étaient théoriques seulement. J’ai compris qu’elles existent
réellement. Je les ai vues dans la rue,
à Hull, sur le boulevard Alexandre-Taché lors de la semaine rouge sang de l’UQO. Alors que l’anti-émeute les attendait avec
les matraques d’un côté et le poivre de l’autre, j’ai vu des étudiants du cégep
et de l’université s’asseoir ensemble au beau milieu de la voie publique et
tenir une assemblée démocratique. Mais
attention, pas selon le désuet code Morin, mais par la réelle délibération
démocratique, avec les mécanismes d’autocorrection et d’inclusion à l’œuvre,
devant mes yeux. Habermas serait sans mots. Ils ont délibéré sur les moyens,
les buts à poursuivre. Je les ai observés totalement éberluée. Je me disais C’est comme dans les livres de philo
politique…
Et la scène s’est répétée. Sous mes yeux plusieurs reprises, certes,
mais aussi, j’en suis convaincue, à travers le Québec tout entier. Une démocratie directe et horizontale. Respectueuse.
Délibérative. Une nouvelle identité sociale qui se pointe… celle d’un citoyen critique,
solidaire, actif dans la cité. Ouvert à
la diversité des points de vue et soucieux du bien commun. Voilà une identité
qui porte la démocratie délibérative et le projet d’une société québécoise
juste.
Nous voilà maintenant dehors, si nombreux,
avec nos casseroles. Il est clair que
notre batterie de cuisine parle pour nous, qu’elle fait ce bruit qui donne voix
à ce que plusieurs ont peine à nommer : colère, solidarité, ras-le-bol, dénonciation
de l’injustice, espoir… La mienne, quand elle chante à 20h le soir, elle donne
voix à mon espoir grandissant, parce que j’ai vu dans la rue ce qui est
désormais possible : une autre cité, plus juste, une nouvelle identité
citoyenne, plus solidaire et militante, un nouvel horizon, plus humain.
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