J’ai rencontré au Congrès national de Québec solidaire un jeune homme profondément engagé dans les enjeux de sa société et de sa communauté mondiale. Il s’appelle Antoine, il travaille chez Alternatives et il a une dent contre le Renouveau pédagogique.
Nous avons eu une conversion intéressante, d’où nous sommes sortis toujours campés sur nos positions respectives. Toutefois, j’ai compris ceci de mon interlocuteur : il est critique, solidaire, brillant et très actif dans l’amélioration de sa collectivité.
J’ai aussi compris qu’il reproche au débat sur le renouveau pédagogique d’avoir obnubilé le débat sur l’accessibilité à une éducation de qualité à tous les paliers. Il a raison. Nous ne militons pas assez pour une fin au financement des écoles privées, pour une restructuration complète du système d’éducation québécois et son financement adéquat. En outre, les structures hiérarchiques et bureaucratiques malsaines des écoles sont à déconstruire, tout comme l’est cette vilaine tendance à engager des directions d’école qui ont un MBA plutôt qu’une maîtrise en pédagogie ou en administration scolaire (personnellement, j’ai toujours cru qu’un directeur devrait être un pédagogue modèle plutôt qu’un gestionnaire, mais ça, c’est moi). Les relations de pouvoir dans la structure scolaire sont à refaire aussi. Il a raison.
J’ai compris aussi qu’Antoine voit le socioconstructivisme comme une solution idéalisée et crois que certains pédagogues y voient une panacée. Je lui réponds qu’il s’agit d’une solution humaine et donc par définition elle est perfectible et qu’il n’y a pas de panacée, que des solutions construites collectivement pour résoudre les problèmes.
Je lui réponds aussi qu’il s’agit de creuser un peu dans l’histoire de l’éducation pour comprendre que sans être l’idéal, le socioconstructivisme est tout de même ce qu’il y a de plus démocratique, ouvert à l’altérité et à l’égalité intersubjective et de prometteur pour former l’esprit critique et la citoyenneté transformative. Le retour à un enseignement dit traditionnel, où les élèves sont tenus de mémoriser la vérité absolue (et la «bonne» réponse) que leur donne l’enseignant, comme détenteur de cette vérité, n’est pas une meilleure solution. Qui plus est, cela reproduit des relations de pouvoir traditionnelles (je détiens le savoir-pouvoir et vous pas) et des élèves-moutons qui apprennent à accepter ces «vérités» sans en questionner l’origine, le contexte, les dangers, etc. et qui nous les régurgitent sur une feuille d’examen pour les oublier deux jours plus tard. La posture socioconstructiviste, qui favorise la co-construction des connaissances dans la confrontation intersubjective des représentations et des perceptions, ouvre la porte à une conception dialectique et dialogique de l’éducation, ainsi qu’à une vision plus égalitaire et solidaire des relations entre l’enseignant et ses élèves (Freire, 1973). Ainsi, ce changement de paradigme offre l’occasion de redessiner les relations de pouvoir en classe et de passer de la conscience magique, où la vérité est offerte de façon absolue à un apprenant passif, à la conscience critique. Comme l’explique Freire (1972 : 201):
« Dans l’éducation pour la libération, il n’existe pas de connaissance complète que possède l’éducateur, mais un objet connaissable qui établit un lien entre l’éducateur et l’élève, en tant que sujets dans le processus de connaissance. Le dialogue est établi pour sceller le rapport épistémologique entre les sujets de ce processus de la connaissance. Il le n’y a pas un ‘je pense’ qui transmet sa pensée, mais plutôt un ‘nous pensons’ qui rend possible l’existence d’un ‘je pense’.»
La société que prône Québec solidaire a un plus grand potentiel d’exister dans une telle perspective que dans le modèle traditionnel qui existe depuis les Jésuites du XVIIe siècle – et qui a peu changé depuis.
J'ajoute aussi que bien qu'il soit imparfait, le programme de formation de l'école québécoise est le plus progressiste que l'on ait connu jusqu'à présent : il contient la remise en question des relations de pouvoir, il demande à l'élève de se former au débat, d'examiner l'interdépendance des peuples et des générations. Il lui demande une participation sociale, un esprit critique. Il inclut les concepts centraux à l'analyse critique, il parle de la lutte des classes, de la hiérarchie sociale, de l'exploitation, du néocolonialisme, du néoimpérialisme. On y voit Franz Fanon, Marx, Mandela et Biko, Ghandi, Michel Chartrand, la méthode historique, la méthode scientifique, etc.
Antoine croit que les pédagogues socioconstructivistes voient la construction de savoirs et de connaissances «essentielles» comme allant de soi dans ce modèle. Je lui réponds qu’il a tort. Le travail de planification pour élaborer une situation-problème et des activités pédagogiques qui permettent aux élèves de développer leurs compétences tout en construisant leurs connaissances est ardu et requiert une rigueur et un esprit critique très développés. Animer ces situations d’apprentissage requiert délicatesse, professionnalisme, une compréhension profonde de la cognition et des étapes de développement de l’enfant et de l’adolescent, etc. Ce n’est pas une tâche que l’on prend à la légère.
je conseille à Antoine de lire la position des syndicats de l'enseignement
Je lui dit enfin que si nous y croyons, c’est parce que l’approche a le potentiel de former des jeunes qui lui ressemblent, ce qui ne pourrait être qu’un atout pour le monde entier.
mercredi 5 mars 2008
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2 commentaires:
J'aimerais apporter une nuance à un aspect de votre réflexion.
Vous écrivez :
"En outre, les structures hiérarchiques et bureaucratiques malsaines des écoles sont à déconstruire, tout comme l’est cette vilaine tendance à engager des directions d’école qui ont un MBA plutôt qu’une maîtrise en pédagogie ou en administration scolaire (personnellement, j’ai toujours cru qu’un directeur devrait être un pédagogue modèle plutôt qu’un gestionnaire, mais ça, c’est moi)".
Or, selon la règlementation en vigueur actuellement au Québec, pour être embauché comme directeur d'école il faut, minimalement :
- Détenir un baccalauréat en sciences de l'éducation ou grade universitaire de 1er cycle dans un champ d'études approprié sanctionnant un programme d'études universitaires d'une durée minimale de 3 ans ou occuper un emploi de hors cadre ou de cadre, à l'exception de celui de gérant, dans une commission ou occuper un emploi de directeur adjoint d'école;
— Avoir 8 années d'expérience pertinente;
— Détenir une autorisation permanente d'enseigner délivrée par le ministre;
— Compléter un programme d'études universitaires de 2e cycle comportant un minimum de 30 crédits en gestion pertinent à l'emploi de cadre d'école, dont un minimum de 6 crédits doit être acquis avant la première affectation à un emploi de cadre d'école et le solde, au cours des 5 années qui suivent cette affectation.
À cet effet, voir la section C de l'annexe 1 du Règlement sur les conditions d'emploi des gestionnaires des commissions scolaires.
Je suis désolé pour ce jargon administratif mais, force est de constater qu'avec de telles qualifications minimales, il est difficile, voire impossible, pour une commission scolaire d'embaucher un directeur d'école qui ne soit pas du "sérail" (i.e. un enseignant ou un professionnel de l'éducation expérimenté).
Par ailleurs, dans un contexte de pénurie de candidatures compétentes, la "tendance" à vouloir embaucher des candidats issus du milieu de la gestion (du public ou du privé) est forte, notamment chez nos voisins du sud. Elle a également été exprimée par certains gestionnaires de commissions scolaires québécoises qui ont fait des pressions auprès du MELS à cet effet. Elle est toutefois partout fortement combattue par les associations de directeurs d'école.
Vous me voyez ravie de la position des associations des directeurs d'école. Je crois en effet que la pression est forte, mais que l'importance accordée à l'expérience pédagogique doit demeurer capitale.
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