jeudi 20 mars 2008

Le positivisme selon Giroux

Ceux qui me connaissent le savent, je suis allergique au positivisme comme paradigme ontologique et épistémologique. Seul le paradigme interprétatif peut nous mener à comprendre et transformer la condition humaine.

Henry Giroux propose une critique mordante du positivisme dans nombre de ses ouvrages. Mais celle que je préfère se trouve dans Ideology, Culture and the Process of Schooling (1981) :

«Functioning both as an ideology and a productive force in the interest of a ruling elite, the culture of positivism cannot be viewed as simply a set of beliefs, smoothly functioning so as to rationalize the existing society. It is more than that. The point here is that the culture of positivism is not just a set of ideas, disseminated by the culture industry; it is also a material force, a set of material practices that are embedded in the routines and experiences of our daily lives. In a sense, the daily rhythm of our lives is structured, in part, by the technical imperatives of a society that objectifies all it touches. [...] Silent about its own ideology, the culture of positivism provides no conceptual insight into how oppression might mask itself in the language and lived experiences of daily life.» (44-45). La grande Marta Anadon l'a dit à maintes reprises : le positivisme était là en premier, il s'est établi sans qu'on ne ressente le besoin de justifier ses assises idéologiques ou ontologiques. À l'inverse, le paradigme interprétatif, qui date au moins de l'école de Chicago, se justifie encore - mais est honnête dans sa vision du monde.

Comme le positivisme refuse de se définir comme une perspective historiquement construite (on pensera au Siècle des Lumières et à ses philosophes, entre autres), la culture du positivisme affirme sa supériorité par sa posture supposément suprahistorique et supraculturelle. La théorie et la méthode sont présentées comme historiquement neutres. Incapable de réfléchir à ses propres présuppositions ou de fournir un modèle général de réflexion critique, le positivisme se targue à appuyer aveuglement le statu quo et à rejeter l'histoire comme medium d'action politique.

Le positivisme alimente une vision unidimensionnelle et non-dialectique du monde, nie le monde politique et est sans vision de l'avenir, puisqu'intemporel. De plus, il nie la possibilité que les êtres humains peuvent créer leur propre réalité et modifier et changer cette réalité face à la domination.

Enveloppée dans la logique de la fragmentation et de la spécialisation, la rationalité positiviste divorce les faits de leurs contextes sociaux et historiques et finit par glorifier la méthode scientifique aux dépens d'un mode de pensée réellement rationnel. Dans ces conditions, l'interdépendance des savoirs, l'imagination, la volonté et la créativité sont perdus dans une réducation de tous les phénomènes aux impératifs de la formulation empirique et objective.


Traduction libre, Giroux, 1981, p. 45

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