lundi 11 février 2008

Obsession des notes et stress scolaire chez mes étudiantes

Me voilà confrontée aux mêmes problèmes qu'à ma première année d'enseignement, au cours de laquelle une proportion effarante de mes élèves de sexe féminin étaient suivies par des médecins (et prenaient des médicaments) pour le stress. Le problème, c'est que mes étudiantes sont des femmes adultes et que je constate que loin de progresser sur la question des notes et de l'évaluation, nous reculons.

Je m'y étais penchée en 2003...

Pour commencer, constatons que les valeurs de la société sont établies par ceux qui ont le pouvoir; les hommes blancs de milieu socioéconomiquement aisé (Thompson, 1997; Paechter, 1998; Barnett, Biener et Baruch, 1990). Comme il n’est pas remis en question (ou que très peu), ce pouvoir hégémonique persiste, malgré tous les efforts pour le démocratiser. En outre, il contribue à dessiner un rôle contraignant pour la femme, qui est reléguée à la sphère privée, qui doit plaire plutôt qu’être. Les participantes à cette étude ont témoigné de l’importance de l’apparence et du stress provoqué par l’impossibilité d’être soi-même et socialement acceptée. La sphère sociale de l’école peut même atténuer le sentiment de compétence acquis au terme d’efforts considérables pour réussir à l’école. Pourquoi tant d’importance est-elle accordée au besoin de plaire socialement ? Il nous semble évident que l’on prépare ainsi la fille pour son rôle de femme, laquelle doit privilégier les relations interpersonnelles puisqu’elle appartient à la sphère privée.

Même à l’école, la matrice du pouvoir masculin est inhérente (dans notre langage, dans notre tri sélectif des contenus d’apprentissage, dans la nature patriarcale des institutions, dans le refus de reconnaître toute forme de savoir autre que le rationalisme, dans la perception de l’Autre comme étant une déviation de la norme) et de par ce fait, reproduite par les opprimés à leur insu. Comme le dit si bien Paechter (1998) :
« … for example, girls who believe in the discourse of female deficit in mathematics are likely to give up trying to succeed in that subject… Hegemony works to perpetuate the status quo by affecting the structures within which people think, so that they find it difficult or impossible to conceive of things any other way. » (Paechter, 1998 : 3)

Le discours hégémonique actuel est occidental et patriarcal, il refuse ainsi à la femme toute possibilité de se voir autrement que comme une déviation à la norme (qui est mâle et de race blanche), particulièrement lorsqu’elle réussit mieux que les élèves du sexe masculin, qui la verront ensuite comme menaçante. Les autres filles auront également intériorisé ce discours et agiront avec les garçons pour ostraciser les filles qui ne se conforment pas au modèle féminin accepté. Les filles qui réussissent brillamment leurs études sont souvent isolées du milieu social de l’école, à moins qu’elles assujettissent leur intelligence à autre chose, comme l’apparence physique. Être intelligente signifie déplaire aux autres, qui renvoient alors à l’adolescente une image négative d’elle-même, d’où le stress. À l’école, on ne peut être à la fois une fille acceptée et une fille qui a les meilleures notes.

Pourtant, force est de constater que les notes sont au coeur du stress psychologique que ressent l’adolescente à l’école. Il semble même que les notes soient la finalité de son éducation. Elle n’étudie pas pour comprendre quelque chose, pour être compétente en calcul ou pour maîtriser l’orthographe d’usage, par exemple. Il semble plutôt qu’elle étudie pour obtenir une note. Cette note lui confère, en tant que personne, une position, d’abord dans la classe, puis à l’école, puis sur la liste d’admission au cégep, et ainsi de suite. L’adolescente a intériorisé l’idée que les bonnes notes sont garantes d’une position sociale valorisée. Son identité personnelle en dépend.

6 commentaires:

Jean Trudeau a dit…

Tout en étant plutôt d'accord avec votre analyse concernant concernant l'omniprésence dans notre société des 'valeurs' du pouvoir hégémonique « des hommes blancs de milieu socioéconomiquement aisé », j'aimerais bien comprendre comment il se fait qu'elles ne sont pas contestées au moins par les enseignantes -- majoritaires au moins à l'école primaire. Le pouvoir hégémonique ne serait-il pas plutôt celui « des hommes et des femmes de milieu socioéconomiquement aisé »?

Stéphanie Demers a dit…

Je crois en effet que les femmes comme les hommes intériorisent le discours hégémonique (n'est-ce pas le propre de l'hégémonie, comme le disait Gramsci, de s'insinuer à nos dépens et en dépit de nous, bien souvent dans notre propre ontologie ?) Mais la question des femmes de la classe dominante est difficile à cerner et il n'en demeure pas moins que notre société est un patriarcat et qu'elles y sont également soumises. Ces femmes asservissent aussi les autres classes à leur pouvoir, mais elles ne construisent ni ne dirigent le discours hégémonique autant que les hommes, de par le tri entre la sphère publique (celle des hommes) et la sphère privée (celle des femmes). Pourquoi les enseignantes du primaire ne contestent pas cette préservation culturelle (Freire, 1972) de la classe dominante ? Je crois qu'elles n'en sont tout simplement pas conscientes, tout comme lorsqu'elles adhèrent aux idéaux esthétiques malsains de notre société objectifiante. toutefois, il est à noter que les hommes qui ne sont pas de l'élite capitaliste non plus n'en sont pas conscients- comme le démontrent la reproduction sociale des structures de pouvoirs. D'où toute l'importance de la pédagogie critique, car il s'en faut de peu pour passer à la conscience critique. mes expériences avec des étudiantes en formation à l'enseignement primaire me convainquent que les relations de pouvoir sont rapidement remises en question lorsqu'on les analyse avec les étudiants.

Jean Trudeau a dit…

Je me permets d'insister sur un point. Focaliser sur le couple patriarcat-matriarcat, c'est viser la mauvaise cible et contribuer à perpétuer le statu quo hégémonique. La véritable hégémonie est celle de la classe possédante (désignation que je trouve plus juste que classe dominante, terme naturellement associé à la gent masculine). La classe possédante est morte de rire d'avoir, avec la complicité complaisante des médias, de la publicité, des institutions politiques (et de l'école?), réussi à déposséder les moins nantis de manière systémique grâce aux 'chicanes hommes-femmes' et aux frustrations des désirs inassouvis.

Stéphanie Demers a dit…

Je suis d'accord avec vous, que la lutte c'est contre la classe possédante. Peter McLaren souligne à maintes reprises les dangers de l'éclatement des luttes dans des particularismes exacerbés qui font justement rire la droite

Toutefois, la question homme-femme n'est pas un particularisme, c'est un symptôme. La révolution puis l'égalité des sexes ? C'est occulter toutes ces voix féminines en puissance qui ne se lèvent pas parce qu'écrasées par le patriarcat, même au sein des organisations les plus progressistes. Prendre voix, c'est une étape cruciale pour les femmes qui ont besoin de l'appui de leurs frères progressistes. Mais elles ont peine à le faire parce qu'elles traînent derrière elles les boulets d'un asservissement qui, bien que moins évident aujourd'hui, est d'une puissance incontestable. Donc, si les progressistes veulent actualiser tout le potentiel de la gauche et des classes dominées, il va falloir que l'on se penche sur cette question d'égalité maintenant.

Anonyme a dit…

Je pourrais renchérir avec un exemple de pouvoir d'«écrasement professionnel» qui s'est exercé par un homme, mais envers un homme, et que l'homme au pouvoir a fortement été influencé par quelques femmes proches et, d'après ma petite analyse, surtout jalouses ou se sentant menacées par une ancienneté plus élevée ou que sais-je...

Un exemple contrant la théorie ? Un cas isolé ? Je ne sais pas... Juste un exemple d'un cas, disons, différent...

SB

Stéphanie Demers a dit…

Je ne sais pas ce que nous dit la théorie au sujet des femmes en position de pouvoir...«masculinisent»-elles leur comportement ? Le cas que tu décris ne me semble pas isolés, il est le propre d'une société capitaliste et individualiste sauvage où l'on grimpe les échelons en écrasant les autres sous soi.

La majorité de la recherche, après un petit tour dans les bases de données (socio et psycho) semble se faire au plan des difficultés qu'éprouvent des femmes qui accèdent à des positions de cadres.

Une chose est certaine, c'est que l'écrasement de l'autre, l'exploitation des humains par les humains, c'est à condamner sous toutes ses formes, qu'elles soient masculines ou féminines.